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Association  l'Ours Blanc

L'Ours Blanc est une association à but non lucratif de type "loi 1901", qui a pour objectif de regrouper 
des créateurs, artistes ou intellectuels d'expressions diverses, afin de faciliter la réalisation d'œuvres communes ou individuelles. L'Ours Blanc, 28 rue du Moulin de la Pointe, 75013 Paris

Poètes de L'Ours Blanc


Camille AUBAUDE, Philippe AYRAUD, Marcel BAUWENS, Isabelle BIELECKI, Marie CHOLETTE, Cécile CLOUTIER, Michel DIAZ, Rodrigue GIGNAC, Bernard GIUSTI,  Marguerite JARGEAIX, Gabriel Eugène KOPP, Paul LAMBRECHT, Chantal LIART, Piet LINCKEN, Jackie MACRI, Franca MAÏ, Pierre MEIGE, Huguette POITRAS, Véronique PORNIN, Carol POULIN, Marie-Agnès ROCH, Bruno TALAVERA, Christian TARRADE, Catherine TEURTRIE, Bérangère THOMAS, Francis VLADIMIR, Leïla ZHOUR



 

Camille AUBAUDE

 

Lorelei

 

Nymphe dressée sur un rocher,

la sirène ondule à l'affût

des barques d'infortune, mue

par ses chants déchaînés.

 

N'as-tu jamais vu Lorelei nager au fil des eaux, 

sa chevelure blonde entremêlée aux algues ?  

 

Vestale des brumes,    

elle attise les tourmentes          

et joue de toutes les voix          

se pressant dans sa gorge.       

Les bateaux sont sa proie.  

 

N'as-tu jamais vu Lorelei nager au fil des eaux, 

sa chevelure blonde entremêlée aux algues ?  

 

Sainte des flots agités,             

elle appelle les naufragés,         

exilés dans l'errance,    

les mène à une île blanche       

dont les cailloux sont des os.    

Une île blottie au sein des eaux. 

 

N'as-tu jamais vu Lorelei nager au fil des eaux, 

sa chevelure blonde entremêlée aux algues ?

 

(in La Sphynge, éd. L’Ours Blanc, 2009)

 


 

Philippe AYRAUD

 

Le fantôme de Tom Joad

(adaptation de The ghost of Tom Joad, Bruce Springsteen)

 

Des hommes longent la voie ferrée

Ils n'en ont pas fini d'errer

Les patrouilles de contrôle surgissent à l'horizon

La soupe est chaude au camp sous le pont

 

La queue s'étire jusqu'au coin de la rue

Le nouvel ordre mondial te dit : Bienvenue

Des familles dorment dans leur voiture ou ce qu'il en reste

Elles n'ont ni maison ni boulot ni repos ni paix

 

L'autoroute est bruyante en cette soirée

Mais personne ne plaisante sur son trajet

Je suis assis près du feu qui réchauffe

Je traque le fantôme de Tom Joad

 

Le prêcheur sort de son sac un livre de prières

Il prend son fardeau, tire une bouffée de sa cigarette

Il attend que les derniers soient les premiers et puis l'inverse

Dans l'abri en carton sous le passage du Nord ouest

 

Avoir pour la terre promise un aller simple

Tu as un trou au ventre et un flingue dans la main

Dormir sur un oreiller de pierre solide

Se laver dans l'aqueduc de la ville

 

L'autoroute est bruyante en cette soirée

Où elle mène, chacun le sait

Je suis assis près du feu qui réchauffe

Je traque le fantôme de Tom Joad

 

Tom dit :

Maman, partout où un flic frappe un type

Partout où un nouveau-né pleure sur ses tripes

Partout où le sang coule et où l'on se bat

Regarde-moi bien maman, je serai là

 

Partout où l'on se bat pour tenir son rang

Pour un travail décent, juste une main qui se tend

Chaque fois que quelqu'un lutte pour sa liberté

Regarde dans ses yeux maman… mon reflet

 

L'autoroute est bruyante en cette soirée

Mais personne ne plaisante sur son trajet

Je suis assis près du feu qui réchauffe

En compagnie du fantôme de Tom Joad

 

(in Chemins de Traverse n°35, décembre 2009)

 


Marcel BAUWENS

 

Clair-obscur

 

Un beau jour

Ce soleil m'a plu

Ce soleil m'a plu dessus

D'entre deux nuages

En fuite

Il a compté les heures

Autour des mâts

Le soir il a plongé

Comme un gros poisson rouge

Dans la mer

Il n'est plus remonté

Que dans ma mémoire

Alors, à travers les vagues

La lune a souri

Lune croissant dans l'ombre

Comme un grand lys de nuit

 

Belle noctambule ambiguë

Lune des heures folles

Où l'on rêve d'exister

Au-delà de la mort

 

Père soleil et mère lune

Où donc est mon étoile ?

 

(in  Chemins de Traverse n°34, juin 2009)

 


Isabelle BIELECKI

 

La réponse

 

L'éternité m'attendait les pieds dans le sable

Ne disait rien, bougeait avec le vent

Qui la quittait par moments pour siffler de désir

Entre deux collines pareilles à un torse de femme,

Puis s'élevait, regardait les courbes du désert

Figées dans leur désir jusqu'à l'horizon

Avant de retomber devant l'éternité

En chien fidèle, lui léchant les genoux

Tandis qu'elle posait une main sur lui

 

J'ai fait deux pas en hésitant, intimidée,

Secoué de mes épaules l'ombre de la pyramide

Et attendu en plein soleil sa parole d'oracle

Longtemps, jusqu'à ce que le chameau

Derrière moi claquât des lèvres

Pour me signifier que c'était fini

Mon audience était terminée, il me fallait partir

Retourner aux pieds du sphinx

Parmi les miens, les adorateurs de l'éphémère

 

Et que si je n'avais rien compris

C'était tant pis, il me faudrait revenir demain,

Ou plus tard, recommencer à compter les collines

Apprivoiser le soleil et chevaucher le vent et peut-être alors

J'entendrais en moi : l'écho de l'éternité.

 

(in  Chemins de Traverse n°34, juin 2009)


Marie CHOLETTE

 

Nos mères

 

J'ouvre les pages de mes souvenirs

fais de même avec les tiennes

échangeons nos parcours

nous organiserons des rencontres

nos mères

en des lieux de convergence

lieux si chauds dans nos villes

sur les Grand-Place

entourés de murs

comme ceux d'une maison

ces lieux de rencontre extérieurs

où on se sent dans l'intimité de sa demeure

tour à tour pleins de monde

et silencieux

avec des paroles qui se lient

et se délient

 

(in  Chemins de Traverse n°35, décembre 2009)


Cécile CLOUTIER

 

Sans

les autrefois

le bonheur

serait

heureux

_*_

La pluie

Se tait

 

la faim

a faim

_*_

L'épée du soir

Tombe

 

Enfonce tes secrets

_*_

Sens

le chaud

du froid

_*_

Bois

le pain

 

Il sait

t'achever

_*_

Tant de mots

dans les coquillages

de tes oreilles

Fais-en des poèmes

 

(in  Chemins de Traverse n°35, décembre 2009 – extrait)


Michel DIAZ

  

La graine nue du devenir, cocon d'ambre au nombril ciselé, assoupie sous l'aisselle du froid, se croyait enfin arrivée au bout de son voyage   Ni les eaux recousues de gel, ni la bêche obstinée des vagues ne se souvenaient plus d'aucunes de leurs origines Les clous de l'air avaient crevé le ciel,  d'un bout à l'autre   jusqu'à le fendre pour toujours

 

    Sur l'horizon consolidé, l'enclume de la nuit pieusement polie par les crabes, veilleurs lunaires, les pinces rutilantes de la foudre, les martellements du tonnerre, suffisaient à eux-seuls à l'équation du monde

    Sablier retourné, le tranchoir de la houle et le vent-guillotine s'étaient réconciliés dans les draps de l'écume

 

(in Cristaux de nuit éd. de L'Ours Blanc, 2013)


Rodrigue GIGNAC

 

Mots de silence

 

Les mots vont et viennent

En mémoire

À pointe de mantra

Et à cœur d'orage

Mots gardés en secret

Mots à images

En cristaux de rêves

En Western

Technicolor

Oubliés

Dans un vide-mémoire

 

Les mots s'espacent

En mémoire

À sourires découpés

Sur cordes de violon

Qui fabulent à vide

Au fond des puits

Qui n'ont d'yeux

Que pour aimer

À l'emporte-brume

Au centre de ma voix

En perte de mémoire

 

Le mot chuchote

Dans la mémoire de l'œil

À mots de livres

D'écriture

Peints sur l'onde

Aux écrits de lune

En un battement de cœur

Invisible

Insensible

Dans ma mémoire

Oubliée

 

Le mot s'écaille

En un trou de mémoire

Tourbillonne

En croix de chemins

Dans un sommeil de froidure

Sans signal d'éloquence

Sans voix d'exubérance

Sans cri ni joie

Aux yeux de paupières closes

Mes mots figent dans la mémoire

La nuit referme son havre

 

(in Chemins de Traverse n°35, décembre 2009)


Bernard GIUSTI

 

D'étranges arabesques ont façonné ma vie

et je n'en finis pas d'être étonné par les entrelacements

qui sans cesse redessinent mon passé.

Cette figure toujours recomposée, peut-être en ai-je parfois l'intuition

lorsque je ne fais plus qu'un, l'espace d'un instant,

avec les choses et les êtres,

ou dans la communion d'un regard.

 

Peut-être aussi

dans le souvenir de ces instants bercés par un bourdonnement d’insecte,

par le vent dans les arbres,

un crissement d’herbe sèche écrasée de chaleur,

le pépiement discret des oiseaux assoupis ;

dans ces instants sans avenir

uniquement préoccupés de la fin du jour :

 

l'éternité n'a pas d'avenir.

 

(in Comme une corde prête à rompre…, éd. L’Ours Blanc, 2008)


Marguerite JARGEAIX

 

La trace

 

Un corps livide

Esquive les rais lumineux

Se dissimule de tout regard

De tout reflet

Verticalité coulée

Dans l’obscure cavité

Ruine de l’intime

Eclipse de l’âme

N’être plus qu’une empreinte

Une trace

Au sanctuaire de l’altérité

La mémoire

 

(in Artemisia, éd. L’Ours Blanc, 2007)


Gabriel Eugène KOPP

 

Mes châteaux

 

Je suis ici, assis au bout du monde

Et sans scène mise

Je les regarde sous la brise

 

Mes châteaux rugissants

Quatre pierres de bois blanc

Souches d’arbres morts salées

 

Châteaux pointus

Corps de gardes pentus

Sous les semences des roseaux éventés

 

Châteaux époustouflants

Tombés armés des eaux

Sans ombres ni rochers

 

Châteaux vannés et défaillants

Sous l’assaut du ressac

Fort d’effroi ravagé

 

Châteaux hallucinants

Où des blés argentins

Sont, par lames de fond, fauchés, fretins

 

Châteaux désespérés

Aux regards de meurtrières éperdues

Sous la pluie, dissolus et noyés

 

Châteaux démantelés

 

(in Chemins de Traverse n°35, décembre 2009 – extrait de Caraïbes, éd. Flammes vives)


Paul LAMBRECHT

 

Reprendre le verbe au mode infinitif

cette forme neutre où je ne suis pas,

où je ne parle qu'à moi-même.

Fermer les yeux, reprendre haleine.

Ai-je longtemps couru les souterrains d'Herstal ?

 

Mes gants de plâtre gris,

l'herbe que je touche,

la lumière, l'égout à ciel ouvert.

 

Le terrain vague, ses flots de monticules,

les minuscules floraisons à tête jaune

comme des gueules de lion,

les variétés mouvantes de détritus

libres dans leur havre transitoire,

pareils à des poèmes jetés sur la voie publique

qu'il est impératif à présent

de ramasser, qu'il faut lire

avant de les rendre à la pluie.

 

Le rôdeur du terrain vague me toise,

arpenteur sans repères, géomètre de l'indécis,

déplaçant un décamètre clandestin sous les nuages,

sur la terre sans bornes.

Au gré des détritus étouffés d'herbes folles,

la chaîne de métal ondule comme un orvet géant.

 

Au crayon rouge et bleu

l'arpenteur relève la démesure du temps.

 

(in Chemins de Traverse n° 29, décembre 2006 - extrait de L'encre des sabliers, Patch'éditions)


Chantal LIART

 

Les trois mers

 

Le Saint-Laurent à marée basse

Saigne sur les hauts fonds

Traînant sa blessure inlassable

Vers la revêche rive.

 

La maison plonge son regard

Dans le clair halo gris

Surgi du lointain Océan

Moulant la Mer du Nord.

 

La Belgitude joue, vibrante

Attendant l'eau qui monte

Pour commencer sa danse haute.

 

Je sens l'harmonie poindre en moi,

La terre beaupréenne

S'unissant aux nordiques Ondes.

 

(in Chemins de Traverse n°35, décembre 2009)


Piet LINCKEN

 

J'ai mon fortin, qui ne me sert de rien,

J'ai ma jonque, mon brick, mon vent éparpillé,

J'ai noroît dans le poing comme goéland sur ma manche,

J'ai cumulus qui cornent mon froid, ma mer, mon algue,

J'ai barbe sablée et chant rongé,

J'ai bras et sexe pointu, victorieux et amer pour la femme,

J'ai jonc à mon dos qui fut fouetté jusqu'au sang,

J'ai phoque impérial et ours blanchis,

J'ai mousse, gel et foehn,

J'ai peu d'éternité pour l'homme, si peu,

J'ai si peu de grandeur pour les villes et tout ça,

J'ai mon humeur, certaine, pareil nuage velouté

Qui à vau l'eau fuit, j'ai oublié maison, château, rues,

J'ai seulement quelqu'oyat et un quart de dune

 

(in Chemins de Traverse n°34, juin 2009)


Jackie MACRI

 

Cœur de soldats

 

Les nuages ont la forme de chars couleur de sable

Et le vent a l’odeur de l’air contaminé.

Dans les rues enfumées se couchant les vieillards, les femmes au ventre rond, les gamins sidérés,les chats, les oiseaux, tous autant que des chiens.

Les garçons et les hommes ne peuvent savoir ça ; ils sont à l’autre bout du pays qu’ils défendent : ils se trouvent au front, ils brûlent au combat, dans les cris de douleur sous les bombardements : ils pensent à leurs enfants... qu’ils ne reverront pas...

Ils ont pour compagnons ceux qui sont survivants ; des soldats qui avant ne se connaissaient pas, qui pensent à leurs enfants qu’ils croient protégés de la fureur sordide des raids assourdissants...

Ils pensent à leurs vieillards qu’ils croient bien à l’abri et loins de la mitraille. Ils pensent à ce petit qui va naître demain. Ils se battent pour lui, pour qu’il puisse grandir au pays de leur père.

On leur a donné l’ordre d’abattre l’ennemi, c’est un envahisseur et ils y croient aussi...

Ils croient en la patrie !

Les soldats qu’ils combattent doivent y croire aussi...

Des hommes tout comme eux, aux familles si loin, qui doivent attendre d’eux un retour honorable. Ennemis ou bien frères, ils ne reviendront pas.

Mais les enfants eux, au moins, eux sans doute vivront, du moins c’est tout ce qu’ils espèrent. Ils ont beau être adversaires, ils n’en sont pas moins humains...

Les nuages ont la forme de nuages couleur de tombes et le vent est chargé d’avions en forme de croix.

 

(in Chemins de Traverse n°31, décembre 2007)


Franca MAÏ

 

Délirium Trémens

 

Je me suis toujours sentie liée à l'ordre moral

Il fallait que tout soit propre...

Ordonné, parfait....

Des lignes droites, sans poussière

Il fallait que je voie clair tout de suite

Au premier clin d'œil

C'est extrêmement sécurisant

Cette blancheur parfaite autour de soi...

Je pouvais avancer tranquillement

Aucune trace, de mes propres pas, ne me suivait

J'étais sereinement légère

Personne pour juguler ma vie...

J'avançais droit devant moi

Le ciel a la couleur exécrable de la cantharide

Lorsqu'elle se nourrit de putréfaction

Je ne regardais jamais le ciel...

Miroir si limpide aux mensonges...

Je songe...

Ma Mère, pourquoi étais-tu si frivolement traîtresse ?

Danse, danse, petite Mère

J'aime ton rire à gorge déployée

Et le carré de tissu qui colle à ta cuisse

Enlevez les mouches...

Enlevez les mouches...

 

(in Chemins de Traverse n°35, décembre 2009)


Pierre MEIGE

 

Les gens de peu

 

Ils ne passeront jamais à la postérité

N’écriront pas mille pages sur la précarité

Ils ne font pas de grands discours sur la pauvreté

Ils ont juste de l’amour à partager

Qu’ils croient en Dieu où qu’ils soient athées

Ils ne peuvent pas vivre dans la sérénité

Sans aider ceux qui n’ont plus rien

Plus rien à espérer

 

Les gens de peu

Ne sont pas de ceux

Qui ferment les yeux

Sur la souffrance qui avance

Et flinguent l’existence

De ceux qui crèvent en silence

Sur les trottoirs de l’indifférence

Les gens de peu

Mènent un combat silencieux

 

Sur toutes les lignes de nos métros

C’est toujours le même scénario

Excusez moi j’m’appelle Roger

J’ai besoin d’une petite pièce pour manger

Dans le wagon le monde est pressé

Il n’a pas le temps d’écouter

Ce cœur brisé agonisé

Prêt à exploser

 

Les gens de peu

Ne sont pas de ceux

Qui ferment leurs yeux

Sur la souffrance qui avance

Pas besoin d’aller très loin

Pour voir la misère au quotidien

Salarié le jour sans abri la nuit

Ils sont des milliers d’exilés de la vie

On détourne les yeux on se tient à distance

Parfois on donne dans l’urgence

Pour avoir bonne conscience

Les gens de peu

Ne se prennent pas pour le bon Dieu

Ils savent que tout pourrait aller mieux

Si le monde était moins dédaigneux

Envers ceux qui n’ont plus de rêve dans les yeux

Utiles anonymes valeureux

Ce sont juste des gens de peu  

 

(in Dernières nouvelles du fond, éd. L’Ours Blanc, 2007)


Huguette POITRAS

 

Post Christmas Blues ou la complainte du vide

 

  des poupées carnivores avalent les cheveux

                  de leur petite maman

  des sapins ébréchés frissonnent dans la gadoue

                  sous leurs paillettes d'aluminium

  des dindes éviscérées gonflent de leur carcasse séchée

                  le ventre putride des sacs verts

  des boîtes colorées présentent leurs flancs ouverts

                  aux corbeaux de l'abandon

  des cadeaux rejetés gisent au fond des placards

                  sous l'oubli de la poussière

  des surplus s'entassent à rabais

                  dans l'air avarié des magasins

  avant de céder la place aux amours criardes de la Saint-Valentin

 

 les choses témoignent des êtres

 partout la profusion de l'inutile s'amoncelle

 et le vide de l'essentiel creuse son trou

 "et tu ne peux rien dans l'abondance captive"

 disait Miron

 

 (in Chemins de Traverse n°35, décembre 2009)


Véronique  PORNIN

 

Livre

 

A l'intérieur du mot "livre" ,

il y a le mot "vie".

Lire, c'est vivre.

Celui, celle qui a écrit le livre

se "livre" à nous, nous "livre" ce qu'il est,

et il se délivre parce qu'il se livre.

 

A l'intérieur du mot "livre",

il y a le mot "ivre".

Lire, c'est s'enivrer de mots.

Qu'importe la couverture laide,

le papier médiocre, la typo navrante,

pourvu qu'on ait l'ivressque.  

 

A l'intérieur du mot "livre",

il y a le mot "lier".

Le livre est un lien,

entre celui qui a écrit et celui qui lit,

entre celui qui l'a lu et le donne

à celui qui le lira et le donnera à son tour.

Combien d'indéfectibles amitiés

se sont nouées d'un livre partagé ? 

 

A l'intérieur du mot "livre",

il y a le mot "rive".

A quelle rive j'aborde lorsque je lis ?

Encre ou ancre ? Entre page et plage,

il n'y a que le trait de plume d'un "l",

la plume d'une aile.

 

A l'intérieur du mot "livre",

il y a le mot "île".

Lire, c'est toujours s'isoler, s'insulariser,

mettre une distance entre soi et le monde

pour mieux être présent au monde.

 

A l'intérieur du mot "livre",

il y a  le mot "ver".

"Dans le cœur de dieu dort un ver,

qui rêve qu'il n'y a pas de dieu."*

Le ver du livre, lui, ne dort pas ;

en silence, page après page, 

il accompagne l'écrivain,

cet être qui,  l'espace d'un instant,

se prend pour un démiurge. 

 

* Nikos Kazantzakis, in "Ascèse"

 

(in Chemins de Traverse n°30, juin 2007)


Carol POULIN

 

Masques

 

Masques dérisoires

âmes éparses

s'enfoncer au-delà de l'interdit

 

nourrir cet instant habité

piéger l'ennui    cet éternel retardataire

 

ouvrir enfin les portes à double tranchant

décadenasser à coups sur la morale

 

piètre mesure piégée

 

(in Chemins de Traverse n°35, décembre 2009)


Marie-Agnès ROCH

 

L’amour était ailleurs…

 

L’amour était ailleurs

Sans doute

Peut-être aussi…

 

Sur des chemins de verre

Ou dans des tours d’ivoire

Au fond des océans

Ou sur le dos d’un chat…

 

L’amour était partout

D’ailleurs

Peut-être aussi … qui sait ?

 

Moi je ne sais qu’écrire

Les mots de tous les jours

Comme un buveur de vin

Qui court après l’ivresse

Illusion de fortune

Jouant avec l’obscur…

Je laisse entrer la nuit

Par la fenêtre ouverte

Sur l’œil d’Aldébaran

Qui veille sur le monde…

Ce monde fait d’ailleurs

Et de chemins de verre

Où les chats ont parfois

Le dos couvert d’étoiles…

 

(in Métamorphose, éd. L’Ours Blanc, 2003)


Bruno TALAVERA

 

J’ai oublié le lieu

Où je vivais jadis ;

J’ai oublié les mots

Qui caressaient ton corps,

Oublié les frissons,

Et l’inspir de ton air.

 

J’ai oublié le lieu

Où nous vivions jadis,

Oublié tes répliques,

Sur ma scène égarées,

Et puis,

J’ai oublié mon nom

Trop de fois prononcé

Par tes désirs naissants ;

 

J’ai égaré mon nom

Pour ne t’entendre plus

Répéter sa mémoire,

Pour essayer, en vain,

D’oublier les contours

Trop nombreux de ta voix.

 

(in L’Exil tenace, éd. L’Ours Blanc, 2005)


Christian TARRADE

 

Des nuages par rafales

Ecrasent une terre sale

 

La maison portes et fenêtres closes

Masque aux errances de l’âme

Le bruissement d’arbres invisibles

Cache

Des tempêtes de rêves

Où se jettent des mots

 

Assourdi

Le grondement d’un moteur cache

Sa rage de vitesse

Quand la lenteur d’un geste

Déploie le sourire d’un désir

 

La mer en colère berce les naufrages de l’âge

Son ressac trame une nostalgie

D’avant naître

 

La chandelle peureuse

Chancelle au souffle de l’âtre

 

Des ombres inventées

Dansent

Aux murs de l’avenir

Quelque part

Dans l’herbe du jardin

Un insecte meurt

Sans conscience

 

Une rue de la ville

Nie ces chambardements

Où s’épuise une volonté d’être

 

(in Chemins de Traverse n°35, décembre 2009 – extrait de Silence qui rêve, éd. Librairie Galerie Racine)


Catherine TEURTRIE

 

Brouillard

 

Ces arbres en bouquets blancs

Je vous les offre,

 

Non ! je n'ai pas trahi le paysage,

Rien ne s'y passait plus.

 

Brouillard dans le cœur même,

Désespoirs fulgurants,

Je me cherche et me perds

Sans éclaircissement.

 

Formes sans ombres

Les mots ont fui,

C'est sans doute sans importance,

Tout est fini.

 

Encrier vide, encre envolée,

Mots libérés de ma pensée,

Larmes devenues taches de sang

Sur les ailes d'un goéland.

 

Pour toi mes rimes improvisées

Comme de l'oiseau l'envol,

Sur cet espace soudain livré,

Contre l'oubli, ma parole.

 

(in Chemins de Traverse n°33, décembre 2008)


Bérangère THOMAS

 

Moi

à Juliette

 

J'avais ta foi intense et l'honneur de ton cœur,

La grâce, le bonheur de tout ce qui peut plaire

Et combler simplement ton attente et ton pleur

Quand je passais, songeur, et venais te distraire.

 

J'exaltais à penser te ravir encore plus

Et t'offrais sans compter ma belle fantaisie

J'étais un menuisier qui implorait Phébus,

J'étais le créateur qui brime l'incendie.

 

Et tous les feux du ciel me guidaient dans la nuit

Car rien ne m'épargna le calvaire du transit,

Ce chemin que l'on fait dans l'enfer de la terre.

 

Heureux l'homme d'esprit qui s'enfuit du malheur

Par la porte du cœur et calme le tonnerre

En offrant son amour et sa grande ferveur.

 

(in Chemins de Traverse n°35, décembre 2009 – extrait de Victor Hugo Suite)


Francis VLADIMIR

   

Au portillon de la grandeur vient achopper le destin. Voici qu'arrivent dans la baie les navires de sel et d'ambre. Ils ont traversé la barrière des coraux. Les îles s'éteignaient d'elles mêmes et nul pavillon ne flottait au vent inassouvi du large. Il est un pays d'où l'on venait marqué aux larges frontières de l'humain. Et voici que passe sous nos yeux la longue file de l'exil. Les camps accueillent le reflux sous le regard hongre du cheval. Nul besoin n'est de tendre les mains. Je ne saurais promettre d'abondance.

 

La terre ainsi s'ouvrait pour vous comme le rideau fait au théâtre et sur la scène d'éphémère, alors,  montait le vide des émois. Chaque chose avait sa place hier sous le toit orangé des maisons. Elles ont échappé à vos mains et il n'est resté sur vos doigts que la poussière fine du rien. Et dans vos têtes le fracas sourd tombé sur vous.

 

D'écueil il fut question pour rallumer le feu du soir sous la tente. Fallait-il croire le bédouin au grand secret des caravanes ? Elles passèrent sur vos têtes les oies sauvages de l'exil. Elles passèrent innombrables comme un trait vient séparer la page blanche de l'histoire. Un impromptu au bout des lèvres s'acheminant sous le silence. Oui, la voix candide d'un enfant pour raviver les mots saupoudrés de la cendre.

 

Partez au loin avant que la rancoeur ne vous noie. De loin les femmes étaient si belles sous l'étoffe. Une vigie pérorait au premier vent de sable de l'instant. En ce pays l'accueil fut bien plus rude qu'au mouroir. On avait désintégré l'habitat. Les murs avaient perdu la pierre veinée des carrières. La brique avait été descellée de la porte et la terrasse grande ouverte sur la tombe. La boue même était criblée sous l'aventure de la balle. Ce qui vous arrachait le coeur était sans bien grand ordre pour les âmes. Les aires de regroupement bruissaient des cliquetis automatiques. Seul le vieil homme se souvenait du temps passé de la splendeur.

 

(in Sables suivi de Mains, éd. L’Ours Blanc, 2004)


Leïla ZHOUR

 

Savane

 

Calme panthère sur les eaux de la nuit

Quand la fatigue éprouvait l’air

J’ai fait les gestes souples qui séduisent l’âme

 

Calme et panthère

J’ai marché sur l’eau folle des nuits de soif

J’ai reçu une caresse de vent

 

Calme

Panthère

J’ai suivi le chemin des savanes bleues

Nocturne du songe en maraude

Tous mes rêves embrassés dans l’ampleur du souffle

Et lents

Et beaux

Au crépuscule du sommeil

 

(in Dans l’envers du silence, éd. L’Ours Blanc, 2007)