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Association  l'Ours Blanc

L'Ours Blanc est une association à but non lucratif de type "loi 1901", qui a pour objectif de regrouper 
des créateurs, artistes ou intellectuels d'expressions diverses, afin de faciliter la réalisation d'œuvres communes ou individuelles. L'Ours Blanc, 28 rue du Moulin de la Pointe, 75013 Paris

Hommage à notre ursidé Jean-Luc Riffault - entretien et nouvelle

Publié le 3 Septembre 2022 par Ours Blanc in Association l'Ours Blanc, Les Chemins de Traverse

Hommage à notre ursidé Jean-Luc Riffault - entretien et nouvelle

Nous avons appris avec tristesse le décès de notre ursidé Jean-Luc Riffault (qui écrivait sous le pseudonyme de Luc Fori) survenu à la suite d'une longue maladie.

L'Ours Blanc adresse toutes ses condoléances à sa compagne Valérie Delphine, à sa famille et à ses proches, et leur adresse toute sa profonde sympathie.

Jean-Luc avait participé à plusieurs reprises à notre revue Chemins de Traverse.

Nous publions ci-après son dernier entretien, qu'il avait accordé à Pascale Cherrier, et qui a été publié dans le n°59.

Nous publions aussi une de ses nouvelles publiées dans les Chemins de Traverse (n°54).

 

[Chemins de Traverse n°59, décembre 2021]

Entretien avec Luc Fori

par Pascale Cherrier

Nous avons déjà publié dans la revue des recensions des récits de Luc Fori.
Berruyer par adoption, Luc écrit depuis des années des romans, des nouvelles, des poèmes. Il est notamment l’auteur d’une série de six polars mettant en scène William Carvault, ancien flic reconverti en détective privé, puis en agent immobilier qui mène enquête roman après roman, sur des thèmes toujours différents. Cinq polars « berrichons », à la fois littéraires et loufoques, pleins d’humour et de dérision, de jeux de mots sur fond de blues. Le dernier (le sixième) n’échappe pas à la règle, mais c’est à un retour en arrière que le lecteur assiste : dix ans avant sa dernière aventure, Will, jeune flic du Quai des orfèvres, à la veille de sa séparation d’avec Claire, plonge dans le milieu des dealers et du foot professionnel.

Entretien :

Chemins de traverse : On peut dire que Coup franc indirect est une « préquelle » (la préquelle, qui raconte notamment l’origine des personnages et des événements de l’œuvre originale, s’oppose donc à la suite (sequel en anglais). Pourquoi ce choix qui semble signifier que les aventures de Will Carvault s’arrêtent là, que tu n’en écriras plus d’autres le mettant en scène ? Lassitude ?

Luc Fori : Non. En fait, on peut dire qu’il s’agissait un peu d’une « commande ». Lorsque La part du loup était paru, j’ai eu deux refus d’éditeurs, dont un « gros »,  liés au fait qu’il s’agissait d’une série, et m’assurant que si c’était un « one shot », ils le prendraient. Du coup, je me suis amusé à produire un « one shot », un polar indépendant des autres. Mais tant qu’à faire je n’ai pas abandonné mon personnage, j’ai juste éclairé son passé de policier, joignant ainsi l’utile à l’agréable. Quant aux éditeurs, le « gros » a un peu hésité puis finalement refusé. Le petit, Guillaume Belloy,  a tenu parole d’où ce nouveau format que j’aime beaucoup. L’écriture de ce « one shot » m’a donné beaucoup de plaisir, puisque j’étais libéré de toutes les contraintes du monde que j’avais construit autour de Will au fil des autres bouquins.  

Chemins de traverse : le roman raconte un temps où les instits ne s’appelaient pas encore profs des écoles, où le smartphone relevait de la science fiction. Nostalgie ?

Luc Fori : Oui, sans doute. Il y a aussi la nostalgie liée aux lectures et aux films mettant en scène le fameux quai des Orfèvres, les couloirs crasseux, l’odeur des cigarettes et de la pipe de Maigret que j’imaginais bien grâce au tabac hollandais que fumait mon père! Tout ça correspond à mon enfance et ma jeunesse, les feuilletons avec Jean Richard ou plus tard avec Bruno Cramer. Quelque part, j’ai sans doute écrit ce bouquin en noir et blanc.


Chemins de traverse : on retrouve une écriture toujours très « polar noir » : je reprends une de tes phrases dans un de tes précédents romans : « Il n’y a pas de bon polar sans un peu de fesse ».  On a toujours ce même personnage, plus jeune certes, mais déjà inquiet malgré une apparente désinvolture, et ce goût de la dérision qui ne le quittera pas dans les six autres récits. On retrouve le bleu des yeux immanquablement présent dans chaque roman, la couleur étant déclinée en « regard bleu butagaz », « regard bleu-vert », « « yeux bleus », « d’un bleu si profond qu’ils en paraissaient noirs », « yeux bleus incertains, parfois bleus, parfois verts ». On retrouve la musique bien sûr. Veux-tu nous parler de ces choix d’écriture ? Et de ta conception du roman policier ?

Luc Fori : J’ai conservé les mêmes modèles, le roman noir américain, avec cette écriture à la première personne en particulier, qui me semble plus réaliste que ces récits à la troisième personne où l’écrivain dévoile artificiellement les  différents personnages et leur passé... Comme si c’était comme cela dans la vie ! Pour moi la réalité se limite à ce que voit, sent, ressent William, erreurs et aberrations comprises. J’ai commencé par admirer Jim Thompson pour cette capacité à nous faire entrer dans une conscience, même et surtout dans celle de quelqu’un de parfaitement immoral. Depuis j’ai découvert d’autres auteurs, et à chaque fois, c’est cette technique qui me séduit, aussi bien chez Philip Kerr que chez Robert Crais, des auteurs que m’a présentés récemment un ami libraire. Souvent chez ces auteurs, il y a aussi un fond musical qui correspond à ce qu’écoute le personnage. Comme dans la vraie vie, quand on est poursuivi par un air toute la journée. La musique donne une couleur supplémentaire au récit. Pour moi, c’est la mélancolie du blues, une mélancolie qui sent la révolte aussi.

Chemins de traverse : chaque roman est une plongée dans un monde différent, que ce soit l’écologie, les dangers du virtuel, l’élevage industriel et les dégâts de Monsanto, le milieu des mosquées et du Djihadisme, les délires quasi conspirationnistes, le milieu du foot professionnel… Alors, comme Zola, es-tu allé « sur place » avec des petits carnets pour te renseigner ? Car c’est fouillé tout de même, les informations sont vraiment sérieuses. Tu t’es passionné pour chaque sujet ?
Luc Fori : Oui, mais plus modestement que Zola. Les hasards de la vie ont fait que j’ai pu visiter les coulisses d’un grand club professionnel et fréquenter - un peu – certains joueurs et responsables. J’ai finalement assez peu d’imagination et me contente souvent de broder une histoire autour de mes souvenirs. Il en est de même pour chaque roman : à chaque fois j’étais assez bien « documenté ».

Chemins de traverse : l’humour ! L’humour dans chacun de tes romans. La dérision, les jeux de mots. Comme quand on fait des gammes. C’est ça aussi, ta conception du polar ? Tu as dû t’amuser en nous amusant.

Luc Fori : Il ne faut pas se prendre trop au sérieux. L’humour ramène peut-être tout ça à son vrai niveau. Il ne s’agit que d’un monde de papier.


Chemins de traverse : peut être que tu ne veux pas en parler, mais je tente le coup : as-tu d’autres projets d’écriture ?

Luc Fori : J’écris en ce moment quelques pages sur mon enfance. Je suis surpris par les détails qui me reviennent. Mais cet exercice n’a d’intérêt que pour moi. J’ai d’autres projets, un Carvault en Australie dont je n’ai que le titre : Choisis ton camp Gourou ! Et une autre fiction mettant en scène les gosses d’aujourd’hui et leur addiction aux écrans. Mais en aurai-je le courage ?  

Pascale Cherrier

Les polars de Luc Fori :

 Corsaire éditions, « Pavillon noir » :
-    Choc Berry blues, 2011
-    Connexions tragiques, Net pas net et chat méchant, 2012
-    Si les petits cochons te mangent pas, 2015
-    Vade retro, 2017

Editions La Bouinotte
-    La part du loup, 2019

 Inanna Editions :
-    Coup franc indirect, 2021

 

  • Maria Lesca, éditions Ipagination

[Chemins de Traverse n°54, juin 2019]

Résolution d’une équation à une belle inconnue
par Luc Fori

   J’étais carrément rond. Dehors la nuit tombait déjà, c’était clair…Accoudé au zinc de ce bar louche, j’essayais de faire le point. L’enquête avait commencé plus tôt dans la journée par un coup de fil anonyme non revendiqué : on nous signalait un vol de grues au petit matin. Le temps que je réalise la gravité du problème, mon interlocuteur avait raccroché sans me laisser le temps de lui demander où s’était passé le vol. J’étais frais : c’était chaud comme affaire…
   Heureusement  la radio signalait dans le même temps une catastrophe : « sept sur l’échelle de Richter » ai-je eu juste le temps d’entendre. Les cons ! Comme d’habitude,  des imprudents inconscients et écervelés…C’était pas la première fois que j’entendais ça : cinq, six, sept, des fois huit sur l’échelle de Richter !  J’aurais bien aimé voir sa gueule à ce Richter, un mec  assez con pour prêter son échelle à des types aussi maladroits : déjà moi tout seul sur un escabeau, j’ai du mal à tenir debout, alors à sept sur une échelle…Pensez ! C’est ce qui m’a mis la puce à l’oreille. Et si c’était lié tout ça ? Après avoir cassé l’échelle, ces gars ont dû se rabattre sur une grue : c’était logique. Le temps de rechercher dans l’annuaire tous les Richter du bled, et me voilà parti. Ce genre d’enquête, faut toujours que ça tombe sur moi : l’an passé on m’a refilé une recherche concernant un accident causé par un Tiers soi-disant. Après avoir interrogé les neuf dixièmes des gens portant ce patronyme ,  j’ai pu prouver en conclusion finale qu’en fait c’était un car qui avait écrasé la femme quai Voltaire. C’est comme ça que l’administration, dans sa logique imparable, a fini par me nommer commissaire divisionnaire. Mais revenons à nos grues. J’ai fini par tomber sur un Richter chef de chantier et malgré tout mon savoir-faire je n’ai pas réussi à lui faire cracher le morceau. J’ai pourtant insisté, il a lâché des glaires, des  dents, du sang , et quelques … mais de morceau, point. Pour mon enquête, je n’avais donc rien de solide à me mettre sous la dent et de bulldozers en verres doseurs j’ai fini par atterrir chez le dernier Richter de ma liste, propriétaire borgne d’un bar louche, propriétaire louche d’un bouge borgne ou l’inverse et son contraire si vous préférez. C’était évident : j’avais dû mal interpréter l’expression « vol de grue », c’était bien sûr de ce côté-là qu’il fallait enquêter. L’une des promeneuses à talons hauts travaillant pour ce Richter avait dû faire une fugue ! L’interview de ce souteneur borgne risquait d’être délicate : il était sourd et muet comme son accent circonflexe me l’a tout de suite fait comprendre. Mais j’en avais vu d ‘autres : autrefois au festival des cannes, des cannes  blanches,  j’avais réussi à tourner un film en braille, alors avec  un sourd, j’allais fatalement m’entendre ! J’ai donc insidieusement fait porter la conversation sur sa base de données pour sonder sa base de vendues. Lui manquait-il une fille aux heures de pointe ? Et aux heures de vices? J’utilisais le langage des cygnes le plus pur, le langage des cygnes blancs, le plus à même de toucher un propriétaire de grues. Et ça marcha ! car il a soudain semblé comprendre ce que je cherchais en me désignant avec son œil valide une porte portant la mention « Attention chat méchant ». De son  œil crevé, qu’il avait toujours fermé, on pouvait supposer qu’il faisait un clin d’œil resté sur « pause »: je décidai donc de lui faire confiance ayant toujours condamné la stigmatisation des handicapés. Ce n’est pas parce qu’on est manchot qu’il faut baisser les bras (et encore moins lever le pied quand on est  cul de jatte) ! Je  poussai donc la porte de la péripatétichienne après avoir frappé trois coups brefs de mon pépin. La disparue était langoureusement allongée sur un sofa, une souffrance douloureuse se lisait sur ses traits tirés en arrière par un chignon très serré. Elle me fit un sourire triste comme un oxymore et m’invita d’un zest à m’installer près d’elle. Le mystère s’épaississait : pourquoi la grue volée était-elle chez elle ? C’était à coup sûr une feinte diabolique du voleur qui souhaitait me faire croire à son retour. Mais je n’étais pas si bête et je fis comme si je ne l’avais pas vue. L’enquête s’avérait difficile mais j’avais eu le temps de repérer quelques détails significatifs avant de fermer la porte. Entre les fouets, les godemichets, les cuissardes et les boîtes de préservatifs, deux intrus avaient frappé mon regard infaillible : une reproduction d’un vitrail de la cathédrale de Chartres et un panier à salade grillagé ! Le message était clair, j’étais sur la piste des intégristes de tous poils, à poil, à plume et en polo. La grue devait offrir des services très spéciaux : fécondation in vitraux, rapports avec Burqa grillagée, en levrette satanique derrière tourné vers La Mecque et  le panier à salade sur la tête…  J’hésitai à retourner dans la chambre pour vérifier in extenso mais je me rappelai in extremis qu’elle avait bel et bien disparu. Elle était victime de terribles pervers, c’était sûr… Mais pour quels arguments sont-ils contre ? me suis-je demandé, effaré. Écraser la femme était le seul leitmotiv de ces infâmes… Mais pour quels arguments sont-ils contre ? Seule la logique la plus rigoureusement cohérente et rationnelle pourrait me permettre de répondre à cette interrogation fondamentalement essentielle. Je retournai au bar commander un spiritueux pour reprendre mes esprits tout en essuyant d’un revers lifté les gouttes de sueur qui perlaient à mon front pensif . Les deux aiguilles de la pendule s’étaient enfin rejointes sur le douze : j’en déduisis qu’il était minuit et que c’était demain maintenant. Un vol de grue hier m’avait conduit ici. Un vol de grue hier ? J’envisageai le temps d’un éclair un vol de gruyère, avec circonstances atténuantes bien sûr, car seuls les trous avaient disparu. Mais n’était-ce pas trop simpliste ? Le patron du bar était resté bloqué sur son clin d’œil. C’était de bon augure et je décidai de reprendre mine de rien mon interrogatoire. D’une caresse sur son ventre rebondi, il m’apprit que la grue était enceinte… De combien hurlai-je ? Il me répondit en levant le pouce : d’un seul homme, évidemment ! Et c’était quoi , repris-je aussitôt ?  Sa main baissée vers le sol à un mètre environ me confirma que c’était sûrement un enfant. Tout se mettait en place petit à petit. Ce n’était pas un vol de grue qu’on m’avait annoncé mais un vol  de cigogne ! J’avais encore résolu, non sans mal une difficile enquête ! J’avalai une tablette de paracétamol et j’allais me coucher quand le réveil sonna et que je m’endormis en sursaut : vague de suicide à la gendarmerie annonçait la radio,  grosse déprime chez les pandores, on n’arrêtait pas le progrès à leur grand désespoir. La litanie se poursuivait joyeusement : vol de grues au nord de la France , drôle de vue au sud, une hirondelle qui n’annonçait pas le printemps, une noyade tragique dans le Sahara, trois morts dont deux grièvement, un enlèvement d’ordures non revendiqué, des employés à la réception injustement accusés de… Allez Alphonse, le monde continuait sa valse folle.

 

Luc Fori

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