"Dali ! J'en avais rêvé pendant des années ....cette ville de légende, havre et antre de toute une intrépide génération d' explorateurs ,exploratrices ,aventuriers , aventurières , arpenteurs , pionniers , flibustiers .... attirés par le mystérieux Yunnan , ses forêts vierges , ses éléphants sauvages , ses montagnes himalayennes , ses populations antiques , ses chamans et ses rizières en terrasses qui escaladent le ciel où indolemment coulent de pourpres nuages ...
Dali! J'y suis , et je ne suis pas déçu , je marche dans mon rêve , je suis sous le charme de cette vieille cité de l’ethnie Bai, blottie à 1900 mètres près des rives du grand lac Erhai et au pied des monts Cang Shan , qui a su préserver son authenticité et son cachet unique , sa douce quiétude , dans ses rues très étroites , toutes ses petites maisons très anciennes , à la cour intérieure carrée plantée de vieux arbres où le visiteur est accueilli par des mainates et des perroquets moqueurs , quelques tables sur une terrasse branlante , où des femmes bai vêtues de blanc , la taille ceinte d'une écharpe de couleur , vous servent des croquettes de riz , du fromage de chèvre , du mouton et de la carpe, tout en riant aux éclats ....
Le peuple bai est extrêmement hospitalier , à tout moment l'on boit et l'on offre du thé , le célèbre thé Pu'er, dont la cérémonie est un rituel religieusement ancestral ; des groupes de femmes bai, bâtons d'encens fumants entre les mains se promènent sous l'ombre tutélaire de trois marmoréennes pagodes ....La fleur de camélias est leur emblème ; camélias, magnolias , azalées, lys , orchidées , paulownias,pimprenelles, osmanthes , poussent librement dans cette plaine fertile , à l'éternel printemps .
Le lac Erhai est un très grand lac d'eau douce , dont la fameuse pêche pratiquée par les cormorans n'est pas une légende ....
Chaque barque est accompagnée de plusieurs cormorans à qui les les pêcheurs ont appris à attraper les poissons sans les avaler , mais à les apporter à bord .
J'avais sympathisé avec l'un des pêcheurs , un fier vétéran au visage boucané , qui m'emmena un matin à l'aube sur son lieu de pêche , et je puis voir ces grands oiseaux , plongeurs émérites , à la sombre vêture , pourchasser implacablement des poissons s'enfuyant profondément en une fuite éperdue sous les eaux iridescentes , et au retour , déposer leurs prises dans la barque , récompensés sur-le-champ d'un mets de choix par leur maître ...
En fin d'après midi , nous revînmes au port , chargés d'un appréciable butin et nous nous attablâmes devant un thé Pu'er bien mérité ..
C'est alors que le pêcheur me raconta une histoire très étrange qui lui était survenue avec l'un de ses cormorans favoris .
" Ce cormoran était le meilleur de mon équipe , il était un grand plongeur très rapide et infatigable , qui me rapportait autant de poissons que tous les autres réunis . J'avais cependant remarqué qu'il volait de plus en plus loin avant de plonger, comme pour me donner l'illusion qu'il suivait un banc particulièrement fructueux ....Il lui arrivait même de survoler la rive opposée du lac selon un cheminement erratique énigmatique , avant de regagner à tire d'ailes son territoire de chasse .
Je fus de plus en plus intrigué par son bizarre comportement ... Je décidai un jour d'en savoir plus et de mener une discrète enquête... Je me munis de puissantes jumelles , nous partîmes comme d'habitude avec toute mon équipe de cormorans ... Après quelques plongeons , il s'esquiva et vola très rapidement vers la côte opposée ; je suivis attentivement ses évolutions désordonnées comme s'il cherchait quelque chose sur la rive .
Tout à coup , je le vis plonger dans un épais massif forestier bordant le rivage ; après quelques minutes , il reprit son vol et revint à bord .
Mais j'avais noté scrupuleusement l'endroit où je l'avais vu disparaître . Je résolus d'aller voir de plus près ce mystérieux boqueteau qui attirait tant mon oiseau .
J'abordai tout près , et continuai en marchant vers cet entrelacs végétal de roseaux et de bambous . Tout à coup , parut devant moi une humble chaumine , bien cachée derrière une haie touffue d'aubépines. Sur le seuil , un homme me regardait , aux aguets .... c'était un coureur des bois , hirsute et farouche , mi-vagabond, mi- braconnier ......Ayant jugé que j'étais probablement un pêcheur égaré dans les méandres du lac , il se détendit et me demanda ce qu'il pouvait faire pour m'aider .
Je lui expliquai l'étrange comportement de l'un de mes cormorans , qui avait l'habitude de s'enfuir temporairement de son lieu de plongeon pour venir voleter dans ces bosquets ....
A ses mots , l'homme éclata de rire : " mais votre cormoran est un vieil ami ....Il s'est pris d'amitié pour moi , sans que je ne l'attire le moins du monde par quelque récompense ....Il me nourrit en poissons , quand je ne suis pas en route pour quelque contrebande ...."
De mon côté , j'avais compris le manège de ses disparitions quotidiennes .Tout était clair !
Après avoir bu quelques tasses de thé , nous conclûmes sagement que nous devions laisser le cormoran décider librement de ses choix sans aucune sujétion ni contrainte d'aucune sorte .
Ce qui fut fait et appliqué pour le plus grand bonheur de notre ami commun ...
Michel Humbert
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