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Cet après-midi-là, j'avais décidé d'emmener ma petite fille Alice visiter le Yantai Piano Museum.
En effet , dans un quartier antique et vénérable, tout à côté d'un hutong séculaire , tapi à l'ombre d'étroites masures moyenâgeuses, parmi lesquelles des fleurs et des arbustes sauvages réussissent à se faufiler en une petite oasis de verdure , il se cache jalousement un Musée méconnu , le " YANTAI PIANO MUSEUM ", un Temple dédié à la belle Muse Euterpe , la déesse de la Musique , couronnée de fleurs et jouant de la flûte aux côtés de Dionysos ...
Ce Conservatoire exceptionnel est abrité dans une demeure patricienne du XIXème siècle, sous les ombrages tutélaires de séculaires sycomores.
Nous fûmes accueillis à l'extérieur par des hiératiques statues de bronze de Frédéric Chopin, Robert Schumann, Ludwig Von Beethoven et Wolfgang Amadeus Mozart, qui reçoivent en majesté les hommages fervents des visiteurs mélomanes ...
Entrant à pas timides dans le saint des saints, nous fûmes émerveillés de contempler près de 300 pianos historiques, dont le plus ancien date de 1801 et le plus récent de 1923 ...Tous les grands facteurs sont présents : Steinway, Erard, Broadwood, Pleyel Hertz, Clementi, Bugnot, Blondel, Bechstein ....
L'on découvre des pièces extrêmement émouvantes, tel un piano personnel de Camille Saint Saens (1835-1921), un Erard de 1860, sur lequel il a pu composer sa fameuse " Danse macabre " ....
L'atmosphère est silencieuse et solennelle, les visiteurs glissent sur des pantoufles qu'il faut enfiler en entrant.
Nous admirons une Galerie de portraits de grands pianistes des siècles précédents , ainsi que des tableaux représentant des récitals privés dans les Salons des Cours Européennes , des horloges séculaires sculptées et des meubles d'époque , chefs d'œuvre d'ébénisterie d'artisans d'autrefois ....
Au troisième étage, un Salon de récital de naguère, avec ses tentures pourpres et ses fauteuils de velours grenat, est prêt à accueillir le pianiste virtuose ....
Un gardien, qui semble avoir l'âge des pianos, veille dévotement sur cet empyrée de trésors inestimables, qu'il appelle "ses vieux amis ...".
Soudain, ma petite fille, très émue de cette visite centenaire et de la vénération monacale qui l’entourait, demanda, avec toute l'innocence de son âge :
" Pourquoi, Monsieur le gardien, les pianos ne jouent-ils pas .... Pourquoi sont-ils silencieux ? Ils sont endormis ?
" Oui, Mademoiselle, ils dorment dans leur sommeil musical..." répondit le vieil homme avec la plus grande bienveillance.
Alice se mit à pleurer à chaudes larmes ....J'essayais en vain de la consoler ....
" Je voudrais tant les entendre ... sanglota- t- elle ...
Je fus embarrassé devant ce désespoir d’enfant, un très gros chagrin ....
" Je ne peux pas laisser pleurer cette ange du ciel, murmura le gardien, mais comment faire revenir le soleil sur cette adorable frimousse..."?
Il disparut. Tout à coup jaillit d'un piano une mélodie d'une telle pureté de cristal , puis une autre , une troisième , une quatrième , un concert d'harmonie , où les instruments se répondaient en un sublime diapason , qui ne pouvait émaner que de sphères célestes , une musique intersidérale , le chant des étoiles , la rumeur éternelle de l'infini.....
Alice était tellement heureuse , extatique , exaltée, au comble du ravissement , elle battait des mains , elle était au septième ciel ; avec la déesse, elle était aussi couronnée de fleurs , jouant de la flûte , dans le cortège de Dionysos ....
Le vieil homme revint..." je suis un peu mage, me dit-il avec un bon sourire, j'ai invoqué et exhorté EUTERPE ainsi que les mânes de mes vieux amis .....Comment le ciel peut-il refuser d’exaucer un vœu aussi candide, aussi angélique, aussi pur et innocent ..."
Alice voulut embrasser le vieux Gardien, qui en avait les larmes aux yeux et elle déclara : " Plus tard je serai une grande pianiste "...
Michel Humbert 19 nov .2022
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