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Association  l'Ours Blanc

L'Ours Blanc est une association à but non lucratif de type "loi 1901", qui a pour objectif de regrouper 
des créateurs, artistes ou intellectuels d'expressions diverses, afin de faciliter la réalisation d'œuvres communes ou individuelles. L'Ours Blanc, 28 rue du Moulin de la Pointe, 75013 Paris

"Un conte" de notre ursidé Michel Humbert

Publié le 15 Janvier 2022 par Ours Blanc in Textes libres littérature

"Un conte" de notre ursidé Michel Humbert

UN CONTE

"En automne ,lorsque les collines s'empourprent, j'aime  à parcourir les solitudes sauvages et désolées de Weihai , aux  rivages granitiques abrupts et déchiquetés ,  piquetés  de rochers  aux allures de vieillards faméliques levant les bras au ciel , d' îlots impénétrables battus par les flots opalescents et tumultueux  de la Mer Jaune , balayés par des vents impétueux  , dotés d'une chevelure de brume opaque et d'hivers polaires , paradis des oiseaux de mer aux amours criardes , guettés par de féroces rapaces ,  le long de langues de sable et de dunes bordées de hautes futaies de pins , de cèdres , de hêtres, et d'épais  fourrés  aux ramilles échevelées ,  parsemées de huttes de pêcheurs  disparaissant sous les filets ,et tissées de pistes sableuses se perdant dans des aulnes aux arceaux inextricables .

Ce matin-là, je cheminais indolemment  dans un hallier obscur et silencieux sous des frondaisons  bercées par le froissement des vagues dans les roseaux tout proches, en lisière de la forêt.

Je m'aperçus soudain qu'un homme était étendu  en travers du sentier ; je m’approchais, il dormait, sa besace de marin et sa casquette contre lui, une vareuse le protégeant du froid, un panier à provisions, un équipement de pêche et une nasse posés tout à côté. Je le regardai, il sentit  ma présence  et se leva d'un bond.  Je lui tendis mes mains ouvertes. Il comprit mon message et me sourit.

 Je lui dis que je séjournais dans la cité de Weihai  et que j'aimais me promener dans ce paysage bucolique de landes maritimes. Rassuré, il me raconta qu'il  avait veillé toute la nuit  pour surveiller ses filets et  qu'il s'était endormi, épuisé, sur le chemin de retour à sa  chaumine.

 Puis il me confia qu'il était veuf depuis des années , mais que sa solitude ne lui pesait pas , sa vie était rude mais  c'était sa vie  ,  sur son territoire... il se contentait de ce qu'il avait , et n'enviait personne...  La mer , le soleil , les étoiles , le vent , la lune ,  les sentiers qui ne mènent nulle part sur sa lande rocheuse , sablonneuse et poissonneuse , c'était son univers et sa destinée... Je lui répondis qu'il était un vrai Sage et que je l'admirais .

 

Nous revînmes de concert vers sa modeste cabane de bois , de terre et de paille, je l'aidais à transporter son attirail , et tout naturellement nous déjeunâmes chez lui de délicieux  poissons et de fraîches  langoustes , accompagnés de rasades d'un vigoureux maotai... La mer ronronnait doucement dans les futaies, c'était le bonheur...  Après une  sieste bienvenue sous l'ombrage bienfaisant d'un sycomore,  je m'en fus, tout en remerciant chaleureusement  mon hôte si affable, en lui promettant de revenir  le voir.

Mais, par la suite, je fus retenu par mes affaires de Shanghai pendant plusieurs mois sans avoir le loisir de retourner visiter mon nouvel ami...

Enfin, j'eus quelque temps libre ; dès mon arrivée, je me hâtai vers  la langue de terre, de roches et de sable où demeurait  le pêcheur. Mais, à ma grande stupeur, il n'y avait plus rien ni personne,  seul le rugissement du vent  couvrait cette solitude marine. J'appris  qu'une tornade monstrueuse suivie d'un raz de marée torrentiel avait balayé tout ce rivage...  Tout avait été perdu, emporté, éventré, corps et biens...

Le cœur gros, j'errai dans la ville, j'avais un peu de temps avant de repartir, je décidai  de visiter  le Xiangu Temple.

Un pauvre hère en loques se trouvait à l’entrée, ployant sous le faix du destin...  Je m’approchai, soudain  je reconnus mon ami le pêcheur dans cet être hâve et émacié...! Quelle ne fut pas notre émotion ! J'alertai aussitôt de vieux amis, qui, rapidement, s'occupèrent de lui.

Il me raconta plus tard, qu'un soir, au soleil déclinant, il avait été étonné de voir un grand nombre d'oiseaux  s'enfuyant à tire d’ailes, sans raison apparente. Par la suite , la mer et le vent se déchainèrent  avec une fureur démentielle , le ciel s'obscurcit brutalement ,  un gigantesque typhon couvrit tout l'horizon  , des éclairs immenses, tels des coulées de flammes , embrasaient les rivages et les huttes  et incendiaient les forêts , une énorme vague d'une hauteur indicible  s'abattit sur la côte , ravagea et détruisit toute vie  comme fétus de paille.

Il  avait couru  vers une profonde anfractuosité de rocher, s'était blotti dans une cavité et avait vécu des heures d'horrible angoisse. Quand il avait pu sortir de son refuge, il  comprit avec désespoir qu'il ne restait plus rien, ni âme qui vive...

Depuis cet évènement, il vivait comme un mort-vivant.

Très ému par sa détresse et son extrême dénuement, je lui procurais  un logement, un certain pécule  et  lui promis de ne jamais l'oublier.... .

Quelques semestres  passèrent ;  je tins parole et dès que possible, je vins lui rendre visite... Il  fut très fier de me montrer qu'il avait reconstruit  sa cabane et sa vie , à l'identique...Il avait recréé son univers... Sous le dôme des étoiles, rien n'avait changé , les oiseaux jacassant, les poissons , les crustacés , les  taillis  aux replis secrets , tout son monde était là...y compris la bouteille de maotai...

Comme je le félicitais chaleureusement pour son extraordinaire courage, il me répondit : " c'est le destin qui vous a placé sur mon chemin...vous avez été la main du destin pour me sortir de mon malheur, il n'y a pas de hasard, ni de coïncidence..."

Qui sait ?  

 

Michel Humbert

 

P.S.    WEIHAI est une ville située à quelque 60 km à l'est de YANTAI (Province du SHANDONG )

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