PRÉAMBULE
L’action du drame se passe au fort de Joux, prison d’Etat française près de Pontarlier, dans le Doubs. Bâti au Xe siècle, transformé par Vauban en 1690, ce fort vit séjourner dans ses murs maint prisonnier célèbre.
Captif d’un Napoléon restaurateur de l’esclavage dans les colonies, Toussaint Louverture, le chef victorieux des esclaves de Saint-Domingue, devenu Gouverneur de l’île au nom de la République française, y mourut en 1803, victime des rudesses du climat.
Le grand écrivain allemand Heinrich von Kleist y fut interné sans motif valable du 5 mars au 9 avril 1807. Dans sa trentième année, le nouvelliste de la délicieuse Marquise d’O. était alors à quatre ans du suicide auquel le menèrent l’errance, la maladie et l’insuccès. La Famille Schroffenstein et La Mort de Robert Guiscard ont paru voici quatre ans, mais toutes les œuvres majeures écrites pour le théâtre sont encore à venir : Penthésilée sera de 1808 ; La Bataille d’Hermann, drame d’inspiration patriotique, est de la même année. Histoire de Michael Kohlhaas, roman d’une révolte paysanne au XVIe siècle, est contemporain du Prince de Hombourg (1810), chef d’œuvre universel. Dernier ouvrage narratif, Les fiancés de Saint-Domingue est de 1811, à quelques mois du suicide. Presque toute cette production est ainsi postérieure au séjour de Joux où, effet distillé par la souffrance individuelle et le drame ressenti de la Prusse occupée, commence à poindre l’animosité de Kleist à l’endroit des Français, lui qui, naguère, entendait gagner le camp de Napoléon à Boulogne, étape d’une future conquête de l’Angleterre qui n’eut pas lieu. L’universalisme révolutionnaire s’était entre-temps perdu dans l’insoumission des nations naissantes.
À supposer que les prisons y communiquent entre elles, Toussaint Louverture et Kleist n’ont, en tout état de cause, jamais pu se rencontrer au fort de Joux. La mort de François Dominique y précède de longtemps l’arrivée d’Heinrich. Mais, conduit sur les lieux, ce dernier n’ignorait pas qui avait été Toussaint. De là à imaginer la geôle qui avait été la sienne comme la voisine de celle du Spartacus noir, et nous nous permettrons, d’une cellule à l’autre et inversement, un pas fantomatique à travers le mur.
À l’instar de Christian Grabbe devant Faust et Don Juan, je me suis mis à faire dialoguer leurs ombres. Chacun a déjà en tête quelque chose de son futur : la mort et l’inachèvement pour Toussaint ; les ténèbres de l’avenir pour Kleist, traversés des éclairs du génie incompris. L’époque, pour tous deux, boite entre sémantique consulaire et sémantique impériale, en proie au mouvement qui, après Iéna, ira vers le déclin de Napoléon.
Sinon pour l’énergie, mes personnages sont a priori on ne peut plus dissemblables. Mais le mouvement qui les anime s’éclaire encore à la faveur épique d’un écrasement du temps.
Philippe Cantraine
Fort de Joux – Les derniers jours de Toussaint Louverture
Drame en cinq actes de
Philippe Cantraine
Aux Editions de L’Ours Blanc
Collection Théâtre
120 pages, 12 euros
ISBN : 978-2-914362-46-7
Commandes auprès de L’Ours Blanc, 28 rue du Moulin de la Pointe, 75013 Paris
Chèques libellés à l’ordre de L’Ours Blanc, 12 euros par exemplaires commandés
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