Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Association  l'Ours Blanc

L'Ours Blanc est une association à but non lucratif de type "loi 1901", qui a pour objectif de regrouper 
des créateurs, artistes ou intellectuels d'expressions diverses, afin de faciliter la réalisation d'œuvres communes ou individuelles. L'Ours Blanc, 28 rue du Moulin de la Pointe, 75013 Paris

"UNE ENIGMATIQUE DISPARITION", un conte de notre ursidé Michel Humbert

Publié le 13 Août 2023 par Ours Blanc in Textes libres littérature

"UNE ENIGMATIQUE DISPARITION", un conte de notre ursidé Michel Humbert

A Nanjing, l'immense flot de l'épaisse lave du Yangze Jiang (Chang Jiang), dont la couleur varie du jaune au vert, du bleu à l'ocre, selon l'heure, le soleil, les nuages, la pluie et les saisons, transporte, impassible et indifférent, dans une coulée éternelle, tout un charroi d'existences humaines, l'écume de vies ordinaires modestes ou héroïques, faites de plaies et de bosses, d’orages violents et de plaisirs ingénus, d'espoirs démesurés et de déceptions sans fond, de noces défuntes et de fleurs fanées....

 

Cet incommensurable fleuve charrie aussi des trains de languissantes péniches, des petits oiseaux navigant sur des fétus de paille, passagers improbables happant des insectes imprudents, et des rudes rameurs sur leurs frêles esquifs, qui évitent à grand peine les troncs d'arbres flottant, les rares alligators et les paquets d'immondices aux remugles nauséabonds jetés par-dessus bord par les navires .

 

Au crépuscule, les enseignes lumineuses de la ville allument sur les flux sauvages de pourpres incendies.

 

Or Il advint qu'un soir, un jeune rameur harassé choisit une anse paisible pour se reposer et y dormir sous l'abri séculaire d'aulnes et de saules, dans la nuit palpitante de lucioles tandis que les oiseaux jouaient dans les rameaux de tutélaires sycomores.

 

 Il sommeillait déjà quand il sentit soudain une présence sur la rive ; il se leva d'un bond et s'arma d'une rame, mais scrutant l'obscurité, il n’aperçut qu'une ombre blanchâtre qui se diluait dans la nuit des taillis....

 

Superstitieux comme tous les navigateurs, il fut troublé par cette énigmatique apparition, mais curieusement il ne ressentit aucune crainte... Recru de fatigue, il finit par s'endormir profondément jusqu'à l’aube.

 

Le lendemain matin dès l'aurore, il partit rejoindre un débarcadère tout proche où ses compagnons se réunissaient habituellement pour prendre un solide repas avant de commencer leur travail du jour...

 

Quand il commença à raconter sa curieuse mésaventure, ce fut naturellement un concert de quolibets et de moqueries, jusqu'au moment où un vieux batelier prit la parole....

 

" Il y a plusieurs décennies, se leva une tempête implacable d'une violence inouïe sur le fleuve, qui drossa nombre de bateaux contre les rivages ; le bilan fut effroyable, une poignante hécatombe, l'on compta des centaines de noyés, que les oiseaux de proies se disputaient entre eux. Cela se passa essentiellement dans la baie où notre camarade a accosté et a passé la nuit, sans connaitre l'histoire tragique de ce lieu.

 

Puis, au fil des années, des témoins dignes de foi certifièrent qu'en croisant alentour, ils avaient aperçu des formes blanches dans les bosquets, qui se dissolvaient à leur approche, les mânes des morts, disait- on....

 

Peu à peu, les bateliers et les navigateurs avaient évité cet endroit funeste...jusqu'au soir où notre jeune rameur avait choisi par ignorance de se reposer dans cette anse...."

 

 Le jeune homme se leva brusquement : " Eh bien moi, je n'ai pas peur, je retournerai ce soir dormir à la même place...., je ne crains pas les âmes errantes «, déclara-il d'une voix décidée.

 

Le vieux batelier et tous ses camarades tentèrent vivement de le dissuader, mais rien n'y fit, têtu, il persista fermement dans son intention...

 

L'on pensa qu'il s'agissait là de vantardises vis à vis de ses collègues . Chacun prit congé pour rejoindre, qui son poste de travail, qui son embarcation, qui sa pêcherie, le jeune rameur fit de même comme d’habitude.

 

Le lendemain matin, au débarcadère, il n'était pas là .Ses compagnons ne s'inquiétèrent pas, car il était commun que l'un d'entre eux manque leur déjeuner, pour diverses raisons professionnelles.

 

Le surlendemain, il était toujours absent. Au bout de plusieurs jours, le vieux batelier et toute la jeune troupe s'alarmèrent et l'on décida d'aller sur place au fond de l’anse.

 

Son esquif était là, près de la rive, vide. Ils appelèrent, fouillèrent les charmilles et les fourrés, personne, aucun indice.

 

Les mariniers de cette partie du fleuve entreprirent des recherches approfondies, dans les eaux turbides et les étangs bourbeux et opaques bordant les rives marécageuses et les glauques maremmes de joncs.

 

Il avait disparu, sans laisser de trace...

 

L'on fit mille suppositions : noyade, escapade amoureuse. ?

 

Il avait été happé par son destin «, dit très ému le vieux batelier.....

 

Pourtant, quelques années plus tard, un rameur du groupe, en mission dans l'île de Changjin, à l'embouchure du fleuve, crut reconnaître, sans certitude, son ancien camarade, pilote d'un chaland....

 

Qui sait ?"

 

Michel Humbert 13 août 2023

Commenter cet article