"Le chemin tortueux longeait une baie inhospitalière, cernée de dunes de sable maintenues à grand peine par des milliers de pins maritimes, d'ifs et de peupliers ; les mugissements farouches d'un vent violent couvraient les gémissements d'une mer échevelée... Des barques gisaient, tristement éventrées par quelque tempête, dans le lit des cours d'eau limoneux se jetant paresseusement dans la mer ...
Les rivages étaient bordés à l'horizon par une barrière de hautes montagnes. Sur les premiers contreforts, une piste sinueuse creusait son austère sillon, dans un relief sombre et lugubre de falaises abruptes, de profonds précipices, de pierrailles et de rocailles, que survolaient d'avides rapaces à l'affût.
Soudain, dans la brume estivale, une verdoyante vallée apparut à mes yeux comme une oasis blottie entre deux crêtes ; je m'approchai et fus étonné de découvrir un village de chalets de bois, pelotonnés comme des petits chats, semblables à des ermitages ou des refuges, entourés de jardins fleuris où abondaient des paulownias aux efflorescences bleues et mauves, baignés par un lac couvert de joncs, de roseaux et de lotus ...Le silence était absolu et à ma surprise, je ne vis personne .
Une chaumière se dressait devant moi, j'en fis le tour ; je notai du matériel de loisirs, de randonnées, d’ascensions, mais aucun bruit, apparemment aucune activité humaine.... Les habitants travaillaient ils dans le cirque de montagnes alentour ?
Fatigué par ma longue marche du matin, je résolus de me reposer et d’attendre. Je m’assoupis.
Je fus réveillé par une foule effervescente de villageois revenant joyeux de leurs occupations forestières ; le soleil était dans son décroît vespéral ; personne ne s'étonna de ma présence parmi eux ; j'étais complètement ignoré, comme invisible...
Enfin, une femme âgée s'approcha de moi, me souhaita la bienvenue dans sa communauté dont elle était la chamane, me dit-elle, et s'enquit de ce qui motivait ma venue. Je lui répondis que j'étais un botaniste et que j'avais marché par curiosité dans ce massif forestier, depuis le matin; j'étais arrivé tout à fait par hasard dans sa vallée comme dans une oasis, dont je n'avais jamais entendu parler. A ces mots, elle m'offrit l'hospitalité pour la nuit, je fus aimablement nourri et logé.
Le lendemain matin, dès l’aube, je me préparai à prendre congé auprès de chamane, lorsqu' elle m'annonça tout uniment que je ne pouvais pas partir. Pourquoi ?, lui demandais-je ? La réponse fusa : " parce que j'ai fait en sorte que vous ne puissiez quitter le village " !
Je lui répondis que j'avais apprécié son accueil dont je la remerciai vivement, mais je devais retourner à la ville. Je partis vivement, en empruntant le même sentier que lors de mon arrivée.
Après un quart d'heure de marche, l'air devint pesant, je pressais le pas, mais j'avais du mal à respirer et j'en ressentais une certaine fatigue. L'air devenait glauque et opaque, je ne pouvais plus tenir debout, je titubais ...
Avec angoisse, je me souvins de la sentence du chamane, je décidai de quitter ce chemin et de passer à travers la forêt. Rien ne changea, j'étais comme englué dans une enveloppe infranchissable, je ne pouvais plus avancer ... Je pris peur et tentais de passer coûte que coûte, mais je m’écroulai, inconscient.
Je ne sais combien de temps je suis resté évanoui ; je me suis redressé à grand peine, et je revins en direction du village : l'air s’éclaira, je respirais à nouveau à pleins poumons, je compris que j'étais l'objet d'un redoutable sortilège de la part de la chamane. Que pouvais-je faire ? J'étais seul, aucune communication n'était possible dans ces montagnes reculées ....
La chamane m’attendait." Que voulez-vous faire de moi" ? Lui dis-je, vous m'avez emprisonné dans vos rets, je suis tombé dans un guet -apens..." Elle me répondit sereinement :" vous êtes venu dans ma communauté de votre plein gré, par curiosité, je conçois que vos intentions étaient bénignes, vous êtes un scientifique, mais maintenant vous êtes à ma merci, entre les mains des esprits des monts et des eaux, que j'invoque tous les soirs. Reposez-vous, nous nous verrons demain matin. "
Au comble de l’angoisse, je ne pus dormir, je contemplais la nuit claire silencieuse où étincelaient les étoiles, les aulnaies bruissant sous la légère brise de la mer si lointaine, les effluences parfumées des fleurs éparses, je repris courage et je résolus d'attendre le lendemain avec une certaine confiance.
A l'aube, alors que le soleil levant peignait d'irréelles teintes azurées toute la nature épandue, la chamane arriva doucement et me dit, énigmatique, :" allons marcher, allons entendre la rumeur de la sylve s'éveillant au petit matin .."
Nous cheminions en silence sur le chemin des crêtes, assourdi par un concert d'oiseaux célébrant la lumière du jour, quand, tout à coup, elle me murmura, ironique :" vous connaissez ce sentier, n’est-ce pas ? Bon retour ! "
Profondément soulagé, je la saluai respectueusement et je m'en fus, d'un bon pas ...."
Michel Humbert
30 Juin 2022
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