Léon Bralda, Un Temps fécond, La Main aux Poètes, Editions Henry, octobre 2019. Accompagnements graphiques de l’auteur.
La poésie du XXIe siècle oscille entre tradition et tentative de trouver un nouveau langage, entre le retour aux vers réguliers et le refus de se plier aux règles d’antan, entre le désir de partager des sensations et des émotions sans trop de détours ni de jeux de pistes compliqués et celui d’inventer des images insolites, d’utiliser les mots autrement pour en tirer des sens nouveaux. Chez Léon Bralda toutes ces options se mêlent, comme d’ailleurs le passé, le présent et le futur qui se fondent en un temps jamais perdu et sans cesse retrouvé : « Le passé est un soleil qui luit dans l’ombre du Demain » dit la dédicace « à Manon », fille aînée du poète. La nature est éternel recommencement, elle est complice de l’être humain, se sent comme lui heureuse de vivre mais souffre aussi comme lui des maltraitances, de l’abandon et de l’indifférence tel ce « bouquet d’orge abandonné sur le muret, quand le rire engrossait les feux de la jeunesse ». L’humanité n’est plus le centre du monde mais simplement un élément de ce grand tout qu’est l’univers : « la mouche cherchant à déchiffrer dans l’usure de l’air, ce peu de vie restant » semble plongée dans des réflexions métaphysiques, l’abeille qui meurt lentement dans une carafe connaît la lente agonie de certains humains, l’enfant, inconscient que tout est vie et que toute vie est infiniment précieuse, tue des bataillons de sauterelles en battant les herbes sèches. Il n’y a pas d’histoire dans ce petit livre poétique, mais pourtant tout est histoire, celle de chacun, celle des rêves, des souvenirs, du vent, du soleil, des arbres, des bêtes, celle d’une vieille femme qui revit en dormant un passé tourmenté, celle d’un homme qui s’est jeté dans un canal, celle d’un enfant qui joue à la mort parce qu’il n’y croit pas encore vraiment. Le rythme est fluide, sans ruptures, avec beaucoup d’alexandrins blancs : « Une vieille saison qui lève sous les friches / et dicte le passé aux pages du matin » ou encore : « Et le talus, dès lors, chante de tous ses morts » ou « et le silence errait dans la touffeur du jour ». On a envie de lire à haute voix ce texte très musical qui ressemble à une mer au mouvement doux et lent, caressée par des scintillements d’étoiles projetées par le soleil, mais cachant dans ses profondeurs sombres des mystères et des tragédies. Les accompagnements graphiques, formes noires transpercées de blanc, contribuent à l’atmosphère onirique du texte et le prolongent.
Danièle Gasiglia-Laster
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