[Notre ursidée Danièle Gasiglia-Laster, Secrétaire Générale de la Société des Amis de Victor Hugo, a rédigé cette déclaration à propos de l'assassinat de Samuel Paty.]
RESPECTER LA VIE...
Depuis deux jours je pense au tragique événement qui fait suite à tant d’autres, auquel font écho des milliers d’autres dans le monde. Après avoir porté atteinte à la liberté de la presse, des fous de Dieu s’en prennent à présent à la liberté d’enseigner, de penser, de controverser. Victor Hugo était convaincu de la nécessité d’ «allumer les esprits » et que l’enseignement pour tous serait un rempart non négligeable contre l’obscurantisme et la criminalité. Il n’avait pas tort. Mais quand les obscurantistes des siècles passés ressortent comme des zombies surgis des cimetières et qu’ils s’en prennent à ces allumeurs d’étoiles que sont les enseignants, nous retombons dans le cloaque, aux temps de l’inquisition et des tortures sur la place publique.
« L’ignorance est la nuit qui commence l’abîme », nous dit encore Hugo. Mais il est aussi un savoir qui conduit à l’abîme : le faux savoir verrouillé d’esprits bornés et mortifères qui ne savent que formater des cerveaux au lieu d’ouvrir les cœurs à l’esprit critique et à la liberté. L’assassin de Samuel Paty était un de ces êtres fabriqués, un de ces robots destructeurs, dont le cœur avait été asséché par ces fanatiques d’aujourd’hui et qui en était devenu un lui-même.
Plus j’y réfléchis et plus je me dis que c’est le respect de la vie qu’il faudrait avant toute chose enseigner aux enfants, partout, dans les classes, dans les livres, à la maison… Mes amis connaissent un souvenir d’enfance qui m’a marquée : dans le jardin où je passais de nombreuses heures à observer plantes et animaux, je m’amusais, un jour, à piétiner des fourmis avec jubilation. Ma mère m’a surprise à ce jeu morbide. Elle m’a expliqué que je ne devais pas ôter la vie à ces êtres, si minuscules fussent-ils, que ces fourmis étaient certainement heureuses de vivre. Ce jour-là, j’ai compris qu’il fallait respecter la vie sous toutes ses formes. Ceux qui mutilent les chevaux et les poneys, ceux qui jettent des chats par les fenêtres, ceux qui torturent les animaux sont les mêmes que ceux qui ont voulu exterminer des êtres humains il y a moins d’un siècle, les mêmes que ces individus réglant des comptes comme les pires des maffieux sous prétexte que leur croyance a été bafouée.
Comment peut-on prétendre servir un dieu, quel qu’il soit, en tuant en son nom ? Chaque fois qu’une religion s’est engagée dans cette voie, elle a provoqué des désastres, des horreurs, elle a déshumanisé l’humanité. La croyance en la détention d’une vérité absolue sur toutes choses et surtout sur les mystères de la vie et de la mort conduit à la monstruosité. « Quand la vérité n’est pas libre, la liberté n’est pas vraie », disait Prévert.
Je n’attaque ici aucune religion et certaines réactions salubres sont venues de la communauté musulmane. Merci au Président de la Fondation de l’Islam de France, Ghaleb Bencheik, qui rappelle « les préceptes de bonté, d’amour, de miséricorde qui ont été bafoués depuis longtemps et avilis par les jihadistes et les extrémistes ». Il est temps, poursuit-il, « que d’un point de vue théologique il y ait une réforme de la pensée théologique et philosophique au sein de la tradition religieuse islamique pour renouer avec ce qui a pu se passer à travers l’histoire ». Il approuverait certainement ces mots de Victor Hugo : « Muselons les fanatismes. Brisons les glaives, valets des superstitions et les dogmes qui ont le sabre au poing ». La liberté de penser est essentielle. On doit être libre d’être musulman, juif, chrétien, bouddhiste, libre penseur, athée, agnostique… A condition que cette croyance ou ce doute se fassent dans le respect des autres, de leur vie, de leur dignité. A condition aussi que chacun ait le droit de dire à celui qui n’a pas la même conviction que lui : « Je ne suis pas d’accord et j’explique pourquoi ».
« Allumons les esprits », nos esprits, et regardons vers les étoiles au lieu de nous enfoncer dans l’obscurité.
Danièle Gasiglia-Laster
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