Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Association  l'Ours Blanc

L'Ours Blanc est une association à but non lucratif de type "loi 1901", qui a pour objectif de regrouper 
des créateurs, artistes ou intellectuels d'expressions diverses, afin de faciliter la réalisation d'œuvres communes ou individuelles. L'Ours Blanc, 28 rue du Moulin de la Pointe, 75013 Paris

" Natanaël et les sacs remplis de rêves", un conte de notre ursidée Alexandra Fadin

Publié le 1 Juillet 2020 par Ours Blanc in Textes libres, Contes

" Natanaël et les sacs remplis de rêves", un conte de notre ursidée Alexandra Fadin

Natanaël avait tapissé les murs de sa chambre avec ses rêves. Puis il avait investi le salon et chacune des autres pièces de sa maison. Emporté par son élan créatif et actif, il avait même envie d’aller décorer les murs de ses amis, de sa famille, de ses voisins et aussi ceux de tous ces autres, inconnus, qui seraient peut-être heureux d’accueillir des projections joyeuses chez eux!

 

Au début, le fleurissement s’était fait discrètement, dans le secret de son coeur et le silence de ses nuits fertiles, qui agissaient comme un terreau magique dans lequel chaque graine avait une chance de grandir et de s’épanouir, indépendamment des circonstances extérieures et des vacillements intérieurs qui se produisaient parfois, lorsque le doute et les peurs attaquaient, avec ruse ou sauvagerie, sa forteresse royale pourtant bien protégée.

 

Un jour, cependant, Natanaël constata qu’il portait tellement de rêves en lui qu’il avait parfois du mal à se souvenir de chacun, ce qu’il considérait comme un manque de politesse et d’élégance à l’égard de ces visions agréables qui lui tenaient compagnie en permanence, avec une générosité bienveillante et sans jamais exiger quoi que soit de leur hôte. 

 

Lorsque les rêves oubliés lui revenaient, portés par un vent frais aux accents de nouveauté, sans lui faire aucun reproche, Natanaël ressentait une joie immense et il célébrait ces retrouvailles avec ses amis précieux en jouant et riant jusqu’à la nuit avec ses poupées et ses oursons en peluche.

 

Avant de s’endormir, il recomptait ses rêves, avec application et méthode, comme un maître d’école ferait l’appel en classe, et il envoyait des messages à la fois calmes et enthousiastes à son cerveau et à son coeur afin de stimuler sa mémoire et de demander à chaque rêve de rester à ses côtés, promettant de tout mettre en oeuvre afin de leur donner vie aussi rapidement que possible, lorsque le bon moment serait arrivé, sorte d’état de grâce qui avait un goût de miracle et la saveur étrange et intemporelle de la perfection. 

 

Afin d’éviter la fuite de ses rêves vers le néant ou d’autres coeurs ardents, ce qui aurait toutefois, peut-être, décuplé leur potentiel de concrétisation, Natanaël avait pris la décision d’inscrire chacun de ses rêves sur les murs de sa chambre.

 

Ainsi ne prendrait-il aucun risque de les perdre momentanément ou à tout jamais. Ils seraient visibles, avec lui, à chaque instant et concrètement.

 

Mais comment exposer ses rêves sans risquer de se les faire voler ou modifier par le regard des autres, en l’occurence ses parents et, plus dangereux, ses frères et soeurs?

 

A l’âge de douze ans, Natanaël avait déjà son indépendance et aussi son caractère, parfois incisif et sauvage, parfois calme et généreux, ce qui avait rendu possible, après de longues négociations et un engagement sur l’honneur à faire le ménage dans sa chambre une fois par semaine, l’interdiction d’entrée sur son territoire, matérialisé par une pancarte immense installée sur l’extérieur de sa porte et par la récupération de tous les doubles de la clé du territoire officiel de ses rêves, sorte de coffre-fort mystérieux qui commença à attiser une curiosité magnétique et parfois hystérique. 

 

Natanaël aurait pu inscrire chacun de ses rêves dans un carnet, un recueil sacré, mais cela lui aurait demandé de trouver une cachette de confiance et aussi d’aller feuilleter cet ouvrage régulièrement pour rafraichir sa mémoire et rajouter de nouveaux membres de son équipage incroyable. 

 

La forme du livre ou du cahier lui apparaissait comme un lieu agréable et confortable qui avait l’avantage de réunir tout en préservant les besoins d’indépendance et d’autonomie, mais qui n’offrait la possibilité de voir en même temps que les rêves agencés ensemble sur l’espace d’une double page. 

 

Or, Natanaël avait créé des liens multiples et parfois très complexes entre ses rêves, ce qui rendait impossible de fixer et figer une composition définitive sur un espace aussi limité.

 

Aussi, seule une vision complète, disponible à tout moment et modulable à volonté au sein de son cocon de création et de vie lui avait apparu comme une solution acceptable et possible.

 

Très vite, cependant, il fut confronté à des limites géographiques et il dut accepter de s’exposer et de partager ses rêves avec les autres afin de poursuivre cette expansion dont il ne pouvait ni ne voulait stopper le mouvement dynamique et inspirant qui influençait chaque parcelle de son quotidien. 

 

Motivé par sa décision solennelle de croître et son désir amusé et curieux d’offrir ses rêves aux autres, il organisa une réception dans sa chambre, une sorte de « portes ouvertes » de ses rêves qui surprit sa famille autant que ses amis, ses voisins et que ces inconnus rencontrés en bas de l’immeuble et que Natanaël avait choisis au hasard, afin d’élargir la communauté des spectateurs de ses rêves en incorporant dans sa démarche une part de mystère et de secret.

 

Les réactions furent tellement variées et puissantes que Natanaël se sentit rapidement épuisé, vidé d’énergie et qu’il demanda à dormir dans la chambre de sa soeur cadette, dont les murs blancs étaient incroyablement vides et purs, ce qui lui apparaissait comme une opportunité miraculeuse de se régénérer. 

 

De son côté, Laurette accepta cet échange de lit et d’univers avec courtoisie et un plaisir qu’elle avait du mal à dissimuler, comme si son frère venait de la couronner, de lui offrir une chance, un honneur, une récompense, et dans tous les cas, c’était certain, une promesse de bonheur!

 

Le lendemain matin, jubilant d’impatience d’écrire les nouveaux rêves qui étaient arrivés par milliers dans son coeur et dans sa tête, Natanaël se leva très tôt pour commencer son dur labeur de transcription juste et complète.

 

Lorsque les murs de la chambre de sa soeur furent terminés, Natanaël sortit pour inscrire la suite sur chaque surface disponible pour accueillir des mots et des images surgies directement de son inconscient et de sa conscience qui faisaient équipe avec une maestria admirable.

 

Les couloirs, la salle de bains, la salle à manger, la cuisine, la salle de jeux et même la véranda furent remplis de traces magiques et féériques de ces rêves qui avaient fleuri dans le jardin intérieur de Natanaël pendant la nuit. 

 

Avant que ses parents et ses frères et soeurs ne se réveillent, Natanaël réalisa qu’inscrire ses rêves pour les rendre visibles et les partager avec les autres ne suffirait pas à étancher sa soif et à libérer de la place dans son coeur et dans sa tête, car sa capacité à produire des rêves se fortifiait et grandissait à chaque instant, mûe par une dynamique autonome qu’il ne pouvait pas réguler.

 

A la vue de cette abondance miraculeuse qu’il pouvait contempler en dansant dans chaque pièce de sa maison, Natanaël compris qu’il devait maintenant conduire ses rêves vers le monde, vers la vie de tous les jours, vers la réalité.

 

Aussi prépara-t-il son sac à dos en le vidant de ses affaires d’école, de sport et de jeu, pour le remplir d’une matière à la fois plus dense, plus riche et plus légère que tous ces objets qui pourtant avaient leur importance. 

 

Lorsqu’il ferma le portail et se retrouva dans le brouhaha de la ville, Natanaël frissonna d’excitation, et aussi de nostalgie. Quand reviendrait-il chez lui?  Devrait-il d’abord réaliser ou offrir chacun de ses rêves? 

 

Pendant un instant, il se sentit perdu et il cru avoir oublié son sac à rêves. 

Lorsqu’il toucha les sangles protectrices de son cartable de collégien, en cuir marron délicat et solide, cerclés de boucles métalliques pérennes, il apprécia la sensation de joie et de liberté qui parcourut en un éclair chaque cellule de son corps, et il se réjouit du choix qu’il avait fait en laissant ses rêves visibles sur les murs de sa maison et en les emportant avec lui dans leur essence invisible et impassible, légère et compacte, qui leur permettait de tenir dans un petit espace, en cavale sur son dos, accompagnés d’une image tangible, une photographie de son dernier anniversaire sur laquelle il apparaissait entouré de sa famille et de ses amis les plus proches, sans doute un indice pour le rêve qu’il ne manquerait pas de faire un jour sur sa route, lorsque le bon moment serait arrivé, celui de rentrer chez lui, tout simplement. 

 

 

Alexandra Fadin

Extrait des « Contes Merveilleux du Quotidien »

 

 

Commenter cet article