Que les Lumières soient
Janvier 1789 : à la suite d’un accident, un avocat parisien, Marc-Antoine Doudeauville, éprouve le besoin de narrer ses souvenirs. Il fait appel à un jeune homme de lettres, Georges de Coursault, afin de lui dicter ses mémoires. De cette narration, mais aussi de la relation entre les deux hommes, naîtront une vaste fresque historique, couvrant les années 1766 à 1789, et un roman passionnant.
Valère Staraselski nous brosse le tableau saisissant d’une société en pleine mutation, perdant peu à peu ses valeurs traditionnelles et partant à
Roman historique, certes, et le lecteur se délectera des intrications entre la petite et la grande histoire. Mais roman philosophique, tant la dialectique qui s’instaure entre le lecteur et le texte est permanente. Une dialectique qui n’est pas sans rappeler celle qui peut naître par exemple à la lecture de Zadig ou de Jacques le fataliste. Le style très pur de Valère Staraselski permet la conjonction entre la rigueur de l’historien et celle du philosophe, et le résultat est ce roman que l’on peut lire à la fois comme un roman d’action, comme un roman historique ou comme un roman philosophique.
Au-delà des histoires d’amour qui constituent quelques-uns des fils du récit, Valère Staraselski ne s’est pas contenté de nous raconter une histoire, ni de nous raconter l’Histoire. Il ne s’est pas contenté non plus de nous entraîner dans les enjeux politiques qui sous-tendaient les enjeux philosophiques de cette époque. Non plus que de dénoncer une énième fois les souffrances du peuple de France. Il a su garder de bout en bout la distance nécessaire pour éviter les pièges de la moralisation de l’histoire, si courante et désastreuse à l’heure actuelle, et nous rendre toute la complexité de cette époque charnière dans l’histoire de France.
Si l’auteur s’implique çà et là dans le récit, ce n’est jamais pour nous donner des leçons, de morale ou d’histoire : à chacun de les prendre, s’il le peut ou le désire. Il ne le fait parfois que pour défendre des positions humanistes et générales, à travers Georges de Coursault surtout, par exemple lorsqu’il fait l’apologie du travail personnel et de la discipline qu’il faut s’imposer jour après jour pour se dépasser et s’émanciper tant que faire se peut des idéologies dominantes et de l’asservissement de l’esprit.
Comment ne pas relever la similitude entre cette période et la nôtre : l’affaiblissement du pouvoir central permet la montée en puissance de la bourgeoisie et de l’affairisme conduisant inéluctablement à faire passer les intérêts privés avant l’intérêt public, les luttes des factions non pas pour des projets visant au bien-être de tous mais pour assurer les profits de quelques-uns, et un peuple souffrant de chômage et de misère et ne servant jamais que de marchepied pour l’accession au pouvoir des hommes politiques… ajoutons-y les scandales financiers ou la dépravation morale des classes dirigeantes… ça ne vous rappelle rien ?
Mais il y a une différence de taille avec notre époque : c’était le siècle des Lumières, et ceux qui faisaient référence, non seulement parmi les gens éduqués mais aussi parmi le peuple, s’appelaient Diderot, Voltaire, Rousseau… pour n’en citer que trois parmi les plus célèbres. Aussi nous prenons-nous à regretter que la France actuelle ne compte pas de philosophes ou de personnalités intellectuelles de cette envergure, d’esprits susceptibles d’initier, en même temps qu’un retour aux principes fondamentaux de la République, l’élan nécessaire au triomphe de la raison sur l’obscurantisme qui prévaut à nouveau aujourd’hui. Mais ce ne sont pas les ersatz de philosophes médiatisés que nous connaissons qui sauraient remplir cette fonction…
Avec un incontestable talent, Valère Staraselski nous offre un roman didactique et envoûtant, un éclairage sur le siècle des Lumières en même temps qu’une lumière sur notre époque, époque politiquement, philosophiquement et moralement plongée dans
Bernard Giusti.
Valère Staraselski, membre de l'Ours Blanc, vient de publier "Une Histoire Française – Paris, janvier 1789" - Le cherche midi éditeur, 2006, 395 pages, 19 euros.
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