"FENGHUANG (« Le PHOENIX " ) est une antique Cité de la province du Hunan, faisant partie du " World Cultural Héritage de l'Unesco». C'est une plongée dans la Chine moyenâgeuse , en plein pays Miao , ethnie qui conserve jalousement son mode de vie et ses coutumes ancestrales ....Ce sont des dédales d'étroites ruelles et des allées bordées de très anciennes maisons de bois ,enchâssées dans la verdure des Monts Nanhua ....C'est tout un monde de boutiques ,d'artisans , de toutes petites cuisines , de barbiers , de musiciens nichés dans de minuscules théâtres , de métiers à tisser....
Sur la paisible rivière Tuojiang ,paresseusement onduleuse et enveloppée d'effluves de jasmin, bordée de cabanons sur pilotis , les lavandières , les vendeurs de fruits sur leurs petites barques , les bateliers poussant leurs embarcations à fond plat au moyen de longues perches , les femmes qui lavent les légumes et les fruits dans l'eau au fil du courant , celles qui chantent des chansons Miao aux abords de la pagode WanMing, les échoppes sur le pont et sur les vénérables remparts de bois , tout cela donne à Fenghuang , la cité du Phoenix légendaire , bel oiseau chamarré à la longévité proverbiale et aux renaissances successives , une couleur et une authenticité émouvante de la très vieille Chine éternelle ....
Lorsque je séjourne dans cette merveilleuse petite ville de jadis , j'aime à me reposer dans une fragile auberge médiévale au bord de l'eau , dont on se demande chaque jour comment , par quel miracle , elle ne s'est pas encore affaissée sur elle-même ....Elle est le refuge , l'antre des mariniers et des pêcheurs , une agréable escale où l'on boit beaucoup , l'on mange , l'on plaisante avec les marinières , l'on discute des aléas et des affres de la vie aquatique , des crues soudaines et des caprices imprévisibles de la rivière ...
J'écoute particulièrement une robuste batelière aux bras et au torse d'athlète , au visage buriné et boucané par des années de navigation , toujours la plus prompte et la plus acerbe pour répondre aux propos salaces de ses collègues masculins ....Elle connait les moindres recoins des méandres de la rivière amont et aval , les moindres bancs de sable, les moindres tourbillons , les marais et les chenaux où guettent les serpents d'eau , les anses qui abritent les nids des tortues et des tourterelles , la cachette de deux couples de dauphins d'eau douce , échappés du Chang Jiang ....
Ce soir-là, elle nous conta une curieuse aventure qu'elle avait vécue récemment .....
" Je fus requise pour effectuer un transport de personnes, depuis une maison située loin en aval. Je n'en sus pas plus.
Arrivée à destination , au fond d'une anse solitaire , j'amarrai ma barque à un ponton tout proche et je me dirigeai vers une antique chaumine de bouleau, surmontée d'un toit de pierres moussues , sous la protection de sombres cyprès .Le sentier était bordé d'impénétrables halliers , d'ombelles aux belles inflorescences bleues , d'orangers et de myrtes ; la végétation de camélias magnolias, azalées ,lys , orchidées ,hibiscus , était luxuriante et chatoyante , les oiseaux chantaient dans les bosquets ... ..
Je frappai à la porte, silence ... mais elle n'était pas fermée, je rentrai dans une grande salle vétuste et sépulcrale, où flottait une atmosphère âcre de moisi, quand je vis dans la pénombre vespérale une très vieille femme profondément endormie dans un fauteuil d'autrefois .....
Soudain apparut d'une pièce voisine un homme très voûté, vêtu d'une redingote d'un autre âge, qui me dit d'une voix avenante : " c'est moi qui vous ai fait venir, je vous remercie d'avoir effectué cette longue et périlleuse navigation, mais la nuit tombe maintenant, je vous propose de vous reposer, nous pourrions partir dès demain à l'aube ...."
Ainsi fut fait, je n'avais pas le choix ; il m'était impossible de repartir dans l'opaque obscurité des chenaux de la rivière, malgré mes deux fanaux...
Nous partîmes dès 5 heures du matin . Il m'avait expliqué qu'il voulait visiter un apothicaire de sa connaissance pour lui acheter des concoctions à base de plantes traditionnelles et des ingrédients pour son athanor : je compris que j'étais chez des alchimistes, je ne fus pas surpris ; dans cette vénérable Cité du Phoénix , subsiste toute une recherche ésotérique d'antan.
A notre retour, revêtue d'une robe de chambre passablement élimée , la dame âgée était réveillée et bien réveillée.
Je me suis éclipsée discrètement, je pris ma barque et je m'en fus , mission accomplie .
Quelques jours passèrent, survint une autre demande de la même voix avenante ; j'acceptai volontiers ; quoique modeste batelière, j'étais fascinée depuis longtemps, comme beaucoup de personnes, par les mystères de la magie et les manipulations rituelles des alchimistes sur leur petit fourneau .. J'étais curieuse d'approcher de plus près ce monde mystérieux et secret ...
D'autres missions suivirent en amont et en aval pour les emmener visiter leurs amis magiciens, astrologues ou devins, ils me permettaient d'assister à leurs maïeutiques. J'ai beaucoup appris en leur compagnie.
Soudain, plus aucune nouvelle .... leur chaumine, déserte, abandonnée ... aucun signe de vie alentour...Seuls les oiseaux gazouillaient à qui mieux mieux.
Ils avaient subitement disparu de façon énigmatique ....J'interrogeais mes collègues, nul ne les avaient revus. Ils s'étaient comme volatilisés sans laisser de trace ...
Où étaient-ils allés ? Avaient-ils rejoint les lumineuses félicités célestes des enchanteurs, ou bien avaient ils opté de se perdre dans les flots tumultueux et les rives infernales de l'Achéron ?
Qui sait ?
Voilà ma singulière histoire, mais je sais que mes amis mariniers en ont aussi de plus insolites encore à raconter !"
Michel Humbert 11 /3/2023
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