UNE CURIEUSE LEGENDE A MANILLE
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" 6 heures , Manille s'éveille.Le jour se lève sur la baie ; les vives lumières du port , du Bay Boulevard et des navires s'éteignent peu à peu ; les coqs s'égosillent à qui mieux mieux , annonçant au monde leur satisfaction d'avoir accompli leur devoir , une brume légère noie dans un halo les tours bordant la baie de Manille , les cargos groupés comme un troupeau de gros moutons attendent sagement leur tour de débarquer leurs marchandises ; le long des quais ,les grues aux énormes mandibules sont prêtes à avaler le contenu des flancs rebondis des vaisseaux , tandis que les voiliers et les bateaux de plaisance , tout de blanc vêtus, jouent avec les mouettes , elles aussi blanches comme des jeunes mariées .Les barques des pêcheurs tirent , impatientes , sur leurs amarres , les agrès gémissent sous la brise du large , les écoles de voile telles des poussins peureux attendent en ligne les instructions ,les palmiers balancent leurs palmes au gré de la brise tiède , les oiseaux piaillant sautillent de branche en branche. Tout est calme , il fait doux . L'air est rempli de chants fervents provenant de l'église catholique toute proche , se répandant jusqu'au ciel . L'avion du matin sur le point d'atterrir , frôle un parterre de voiles sur la mer tel un papillon voletant de fleur en fleur ...Mes amis philippins me font découvrir Manille , ses embouteillages assourdissants de petits autobus bariolés , ses pittoresques calèches emmenant des touristes ravis au trot d'une agile Rossinante , ses parcs fleuris de frangipaniers , bougainvilliers , manguiers , dispersant de toutes parts des arcs-en- ciel de couleurs chatoyantes , de nuances irisées jaunes et orangées et d'agréables arômes ....Nous visitons le quartier appelé "Intramuros ", qui s'étend à l'intérieur d'une redoutable enceinte médiévale , faite de murailles épaisses , armées de canons pointés vers l'extérieur ,prêts à dissuader les dangereux pirates de jadis ....18.15 : le crépuscule envahit soudainement la ville , la baie et la mer comme une cape jetée à la volée , les lumières jaillissent des navires , les petits yachts allument leurs fanaux , la ville et la baie s'illuminent , les palmiers penchent vers la mer déjà endormie ... Les Philippins s"éveillent à la nuit douce .Mes amis rentrent chez eux ; resté seul , je décide de me promener aux alentours des quais encore bruissants d'activités .Je marche lentement dans la pénombre , attentif aux monceaux de câbles , de cordages et aux bittes d'amarrage .
J'arrive devant une taverne du port de débarquement des passagers à l'entrée de laquelle , assis dans un vieux fauteuil d'osier , trône un géant flibustier barbu , foulard rouge autour du cou ,cheveux en catogan , boucles d'oreilles tintinnabulantes , lourdes paupières opaques , bras noueux tailladés de tatouages mystérieux ...
Il me fait signe de pénétrer dans son antre ; curieux et candide , je me retrouve dans un estaminet décoré de naïves peintures de dragons grimaçants aux griffes acérées et éclairé de lanternes pourpres se balançant irrésolues au gré de la légère brise . De jeunes matelots boivent de la bière et des tord-boyaux tout en discutant et plaisantant entre eux, tandis que de vieux loups de mer fument leur pipe , tout en trinquant avec la patronne-matrone ,elle- aussi munie d'un imposant calumet .....
Soudainement , un jeune mousse entre précipitamment , tout essoufflé, et hurle à la ronde :" j'ai été suivi par un fantôme , j'ai eu peur , je me suis enfui , me voilà .... "
Comme j'étais stupéfait et perplexe , le vieux flibustier de m'expliquer tranquillement : " ce sont des êtres invisibles , des esprits , émanant ,dit-on , de prisonniers enfermés et oubliés jadis dans les cachots de la vieille forteresse ....Ils sont inoffensifs , ils pleurent , ils gémissent , ils suivent parfois les passants comme s'ils cherchaient de l'aide . C'est assez impressionnant".....
Sur mon chemin de retour , sans doute troublé par les paroles du vieux pirate , je crus parfois apercevoir des lueurs éphémères dans l'épaisseur du hallier , je crus sentir des frémissements , entendre des glissements , des murmures ...
Etait-ce une illusion , un pur produit de mon imagination , une chimère des feuillages bruissant dans le vent ?...
Le lendemain , comme je racontais ma soirée , mes amis philippins me confirmèrent le mythe de ces entités , que l'on ne voit pas , mais que l'on peut parfois sentir , entendre ....
Est -ce une fable ? Les légendes ne sont - elles pas souvent des réalités très anciennes ? Qui sait ? "
Michel Humbert
11 avril 2022
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